Poème:Rêve D’un Jour ? Rêve De Toujours ?

Cuisinier…

Un rêve, une folie, après un doctorat en génie des procédés, recommencer à zéro pour devenir cuisinier. Métier terre à terre, peu intellectuel, pas toujours valorisé socialement.
Ma famille du côté de mon père vient d’un milieu très proche, bouchers/charcutiers/traiteurs (on faisait la cuisine aussi à l’occasion pour des fêtes collectives) . Mon père, après des études de commerce (Sup de Co Reims) a essayé de faire prospérer l’entreprise familiale en s’étendant au marché des grandes surfaces. Mais la concurrence était trop féroce et l’époque n’y était pas propice (ou alors, il n’était pas assez bon… ) .

Presque tous les spécimens mâles de ma famille descendant de mon grand père rêvent encore de ce genre de métier de bouche. Mais parce qu’on était trop doué pour ça, ou parce que ce n’était pas assez valorisé socialement, parce que c’était une époque où la concurrence était rude, tous ont essayé de faire plutôt des sciences, l’un une maîtrise de chimie, l’autre un dea de mécanique, moi un doctorat orienté physique… Celui avec sa maîtrise de chimie a essayé de se lancer dans la pâtisserie sans succès (mais sans formation) , celui dans l’informatique est finalement père au foyer, et m’avait dit un jour « rêver d’avoir un restaurant »…

Mon grand père paternel était un homme malin, malgré son métier, il s’intéressait aux robots électriques, réparait lui-même les machines utilisées en boucherie en remplaçant une pièce venant d’une machine par une autre provenant d’une autre (plus aucun technicien ne pouvait réparer les machines de la boucherie car il les avaient toutes bidouillées, ne parlons pas non plus du respect des normes de sécurité… ) . D’où, un certain intérêt pour les techniques et sciences je pense qui s’est transmis à travers les générations.

Le plaisir de produire du plaisir, par des réalisations simples, avec des échéances très brèves : un retour immédiat justifiant la valeur de nos efforts. Un plaisir partagé si simplement et avec une telle efficacité : on peut être en désaccord sur tous les sujets du monde, mais s’il y a bien une chose sur lesquelles toutes les cultures, toutes les classes sociales, et tous les courants de pensée du monde s’accordent, c’est la valeur de la bonne nourriture.

Et puis, il y a d’autres aspects qui m’intéressent, le bien-être, l’équilibre des plats, des sujets plus modernes que je saurais je pense traiter et peut-être commercialiser. Pouvoir être un jour son propre patron (dans les sciences, c’est plus dur) , pouvoir travailler partout dans le monde… Préserver son intellect pour des sujets dignes d’intérêts (l’art, l’histoire et l’évolution des sciences et non une partie infime et abominable de la technique) , la philosophie, la musique.

Je regarde un bouquin de BEP de cuisine, je salive, mes yeux s’illuminent, je ressens les plats, les textures et les goûts avant même leurs créations. En lisant un bouquin ou un article de maths, d’informatique ou de physique, je me sens mort : logique, dans le vrai, parfois intelligent, mais mort. J’adore les grandes idées, les grands concepts, l’origine logique du concept d’ordinateur (algèbre booléen) , les fondamentaux de la physique qui décrivent les mouvements du monde et se vérifient point par point de manière omnisciente… Je suis fier de ma thèse. Mais je ne suis pas scientifique, je n’aime pas la rigueur et les normes, je ne suis pas un rat de laboratoire ni un amoureux de mon ordinateur et de la technique. Je suis un rêveur, un être sensible, un peu poète (on dit avec Isabelle ironiquement, que je suis : « pouète pouète ») , qui a besoin de sensualité pour vibrer. La cuisine, c’est presque comme faire l’amour. C’est… Le plaisir, chercher le plus de plaisir possible, avec le plus de finesse possible.

Les concepts de la science, c’était presque sensuel aussi, au début. On appréhendait le monde réel, on touche du doigt la vérité. J’ai eu des frissons quand j’ai compris la démonstration de l’invention du calcul intégral. Mais ensuite, programmer, compter, on se perd dans une abstraction logique qui n’a plus aucune saveur. On apprend plus rien sur le monde, mais on reproduit des protocoles existants. On devient un instrument de la technique, technique qui nous asphyxie et nous lie, au lieu de la regarder comme un outil nous permettant d’être plus fort et plus libre. En tout cas, c’est l’effet que cela me fait.

Evidemment, c’est un métier dur physiquement, et il est possible de se couper les doigts en cuisine… Mais il ne faut pas exagérer, cuisinier n’est pas non plus un métier particulièrement dangereux ni destructif pour le corps. Je ne m’engage pas dans la légion. Je peux aussi faire un accident de voiture en étant en déplacement professionnel ou tomber dans un escalier en sortant du laboratoire, ou avoir mal au dos à force d’être assis et avachi. Il faut juste être un peu prudent, et ce n’est pas grave de se couper légèrement. Mon grand père a été boucher jusqu’à 80 ans en fumant 2 paquets de cigarettes par jour jusqu’à 79 (bon, il en est mort, cancer du poumon, mais ce n’est pas grave à 79 ans) .

Et puis, j’ai une telle force physique, une telle endurance, un tel appétit de la vie. J’aime tellement les gens et le bonheur. Je me vois chef cuisinier, gentil, respecté, productif, juste, apprécié… Faire un boeuf au piano du restaurant le soir, avoir des remerciements des clients, des applaudissements peut-être ? Et puis pour séduire les filles, un cuisinier bien dans sa peau, créatif, un peu artiste, intelligent, au parcours atypique (docteur en sciences) , … C’est bien mieux qu’un chercheur émérite dans le nucléaire passant des journées à s’asphyxier devant un ordinateur pour truquer des simulations permettant de justifier la valeur de certaines normes de sécurité.

Tout le monde me dit que je ferais un bon cuisinier (à part mon père, même s’il l’accepterait) . Mon père me dit que ce serait vraiment une connerie, alors qu’il n’aime pas son boulot et aurait rêvé de retrouver ce genre de métier.

Il faudrait que je me fasse financer une formation (Ferrandi par exemple a l’air très bien pour des formations adultes) , cela ne s’improvise pas vraiment. J’ai tout mon temps. Je n’ai pas d’enfant, pas de famille. Ce n’est pas la priorité du moment du tout… Tant pis pour tous ces gens qui me pressent de rentrer dans le droit de chemin et dans les normes sur le timing d’une vie en société.
Est-ce que j’ai des illusions ? Est-ce que je délire ? Est-ce un lubie ? Ou est-ce un rêve valable ?

Je pense que ça sonne juste. Même si pour l’instant, j’y vois plus des sentiments que de la raison. Isabelle me dit de suivre mes sentiments, que j’ai mon diplôme, que je peux toujours revenir en arrière, qu’il ne faut pas avoir de regrets. J’y crois de plus en plus, en tout cas aujourd’hui j’y crois.