Poésie : La Peau de bête
Écrit par Albert Samain
Sous le premier péché courbant son front maudit,
Adam, sur qui pesait la main toute-puissante,
Avec Ève, à son bras défaite et languissante,
Séloignait à pas lents du Jardin interdit.
Le jour allait finir ; à lhorizon livide
Loeil rouge du soleil palpitait dans du sang.
Les ombres sallongeaient dans le soir menaçant,
Et la terre était nue, et le ciel était vide.
Muets, ils savançaient, songeant aux clairs matins
Où, sans honte, vêtus dinnocence première,
Ils allaient devant Dieu, purs comme la lumière,
Un voile dor posé sur leurs yeux enfantins.
Parfois, reprise encor de quelque espoir étrange,
Ève tournait la tête et frissonnait de voir,
Plus terrible déjà dans les ombres du soir,
Briller, là-bas, lépée ardente de larchange.
Le soleil moribond, dans un suprême effort,
Illuminant le ciel de clartés effrayantes,
Éclaira jusquau fond leurs prunelles béantes...
Et la nuit descendit sur eux comme la mort.
Alors leur âme en deuil fut deux fois solitaire ;
Et sétreignant dun morne et funèbre baiser,
Ils sentirent leurs coeurs dargile se briser,
Et dans leurs yeux monter leau triste de la terre.
Ève pleurait tout bas sous ses longs cheveux roux ;
Puis, femme et ne pouvant comprendre la justice,
Elle tordit les bras, et dune âme au supplice,
Cria : " Pitié, Seigneur ! " et se mit à genoux...
Mais rien ne répondit au fond du grand ciel sombre.
Et voici que le vent se leva vers le nord,
Et posant sur sa chair nue un baiser qui mord,
Fit soudain grelotter ses épaules dans lombre.
Debout et frémissant, sur sa poitrine en feu
Adam lenlaça toute avec son bras farouche,
Et lui chauffa la chair au souffle de sa bouche,
Comme sil la voulait défendre contre Dieu.
Auprès deux tout à coup, frissonnante et plaintive,
Au fond du taillis noir une brebis bêla.
Adam la vit, bondit sur elle et létrangla,
Et des ongles, des dents lécorcha toute vive !
Le sang horriblement ruisselait sur ses doigts,
Rouge et brûlant encor dune vie irritée ;
Alors, jetant la peau sur Ève épouvantée,
Il lentraîna, tremblante à son poing, dans les bois...
Ils allaient, la terreur creusait leurs faces blanches ;
Ils allaient, la sueur au front, les pieds plus lourds,
Courant toujours et fous de peur de voir toujours
La lune en sang courir derrière eux dans les branches !
Cependant, sur leurs pas, lodeur de la toison
Éveillait la fureur des bêtes carnassières ;
Et, jailli des halliers, des taillis, des clairières,
Leur fourmillement fauve emplissait lhorizon...
Ainsi longtemps, longtemps, par les forêts obscures,
Ils allèrent, lhorreur attachée à leurs flancs ;
Et la peau de la bête, à ses âcres relents,
Allumait dans leurs os le feu noir des luxures ;
Et, comme devant eux souvrait un souterrain,
Là, se ruant dans lombre ainsi quà la curée,
Ils gorgèrent damour leur chair désespérée !
Et cest cette nuit-là que fut conçu Caïn.
Adam, sur qui pesait la main toute-puissante,
Avec Ève, à son bras défaite et languissante,
Séloignait à pas lents du Jardin interdit.
Le jour allait finir ; à lhorizon livide
Loeil rouge du soleil palpitait dans du sang.
Les ombres sallongeaient dans le soir menaçant,
Et la terre était nue, et le ciel était vide.
Muets, ils savançaient, songeant aux clairs matins
Où, sans honte, vêtus dinnocence première,
Ils allaient devant Dieu, purs comme la lumière,
Un voile dor posé sur leurs yeux enfantins.
Parfois, reprise encor de quelque espoir étrange,
Ève tournait la tête et frissonnait de voir,
Plus terrible déjà dans les ombres du soir,
Briller, là-bas, lépée ardente de larchange.
Le soleil moribond, dans un suprême effort,
Illuminant le ciel de clartés effrayantes,
Éclaira jusquau fond leurs prunelles béantes...
Et la nuit descendit sur eux comme la mort.
Alors leur âme en deuil fut deux fois solitaire ;
Et sétreignant dun morne et funèbre baiser,
Ils sentirent leurs coeurs dargile se briser,
Et dans leurs yeux monter leau triste de la terre.
Ève pleurait tout bas sous ses longs cheveux roux ;
Puis, femme et ne pouvant comprendre la justice,
Elle tordit les bras, et dune âme au supplice,
Cria : " Pitié, Seigneur ! " et se mit à genoux...
Mais rien ne répondit au fond du grand ciel sombre.
Et voici que le vent se leva vers le nord,
Et posant sur sa chair nue un baiser qui mord,
Fit soudain grelotter ses épaules dans lombre.
Debout et frémissant, sur sa poitrine en feu
Adam lenlaça toute avec son bras farouche,
Et lui chauffa la chair au souffle de sa bouche,
Comme sil la voulait défendre contre Dieu.
Auprès deux tout à coup, frissonnante et plaintive,
Au fond du taillis noir une brebis bêla.
Adam la vit, bondit sur elle et létrangla,
Et des ongles, des dents lécorcha toute vive !
Le sang horriblement ruisselait sur ses doigts,
Rouge et brûlant encor dune vie irritée ;
Alors, jetant la peau sur Ève épouvantée,
Il lentraîna, tremblante à son poing, dans les bois...
Ils allaient, la terreur creusait leurs faces blanches ;
Ils allaient, la sueur au front, les pieds plus lourds,
Courant toujours et fous de peur de voir toujours
La lune en sang courir derrière eux dans les branches !
Cependant, sur leurs pas, lodeur de la toison
Éveillait la fureur des bêtes carnassières ;
Et, jailli des halliers, des taillis, des clairières,
Leur fourmillement fauve emplissait lhorizon...
Ainsi longtemps, longtemps, par les forêts obscures,
Ils allèrent, lhorreur attachée à leurs flancs ;
Et la peau de la bête, à ses âcres relents,
Allumait dans leurs os le feu noir des luxures ;
Et, comme devant eux souvrait un souterrain,
Là, se ruant dans lombre ainsi quà la curée,
Ils gorgèrent damour leur chair désespérée !
Et cest cette nuit-là que fut conçu Caïn.