Poésie : Ténèbres
Écrit par Albert Samain
Les heures de la nuit sont lentes et funèbres.
Frère, ne trembles-tu jamais en écoutant,
Comme un bruit sourd de mer lointaine quon entend,
La respiration tragique des ténèbres ?
Les heures de la nuit sont filles de la peur ;
Leur souffle fait mourir lâme humble des veilleuses,
Cependant que leurs mains froides et violeuses,
Sallongent sous les draps pour saisir notre coeur.
... Une âme étrangement dans les choses tressaille,
Murmure ou craquement, quon ne définit point.
Tout dort ; on nentend plus, même de loin en loin,
Quelque pas décroissant le long de la muraille.
Pâle, jécoute au bord du silence béant.
La nuit autour de moi, muette et sépulcrale,
Souvre comme une haute et sombre cathédrale
Où le bruit de mes pas fait sonner du néant.
Jécoute, et la sueur coule à ma tempe blême,
Car dans lombre une main spectrale ma tendu
Un funèbre miroir où je vois, confondu,
Monter vers moi du fond mon image elle-même.
Et peu à peu jéprouve à me dévisager
Comme une inexprimable et poignante souffrance,
Tant je me sens lointain, tant ma propre apparence
Me semble en cet instant celle dun étranger.
Ma vie est là pourtant, très exacte et très vraie,
Harnais quotidien, sonnailles de grelots,
Comédie et roman, faux rires, faux sanglots,
Et cette herbe des sens folle, comme livraie...
Et tout savère alors si piteux et si vain,
Tant de mensonge éclate au rôle que jaccepte,
Que le dégoût me prend dêtre ce pître inepte
Et de recommencer la parade demain !
Les heures de la nuit sont lentes et funèbres.
Langoisse comme un drap mouillé colle à ma chair ;
Et ma pensée, ainsi quun vaisseau sous léclair,
Roule, désemparée, au large des ténèbres.
De mortelles vapeurs assiègent mon cerveau...
Une vieille en cheveux qui rôde dans des tombes
Ricane en égorgeant lentement des colombes ;
Et sa main de squelette agrippe mon manteau...
Cloué par un couteau, mon coeur bat, mon sang coule...
Et cest un tribunal au fond dun souterrain,
Où trois juges, devant une table dairain,
Siègent, portant chacun une rouge cagoule.
Et mon âme à genoux, devant leur trinité,
Râle, en claquant des dents, ses hontes, sa misère.
Et leur voix na plus rien des pitiés de la terre,
Et les trous de leurs yeux sont pleins déternité.
... Mais soudain, dans la nuit dhiver profonde encore,
Tout mon coeur dun espoir immense a frissonné,
Car voici quargentine, une cloche a sonné,
Par trois coups espacés, la messe de laurore.
Frère, ne trembles-tu jamais en écoutant,
Comme un bruit sourd de mer lointaine quon entend,
La respiration tragique des ténèbres ?
Les heures de la nuit sont filles de la peur ;
Leur souffle fait mourir lâme humble des veilleuses,
Cependant que leurs mains froides et violeuses,
Sallongent sous les draps pour saisir notre coeur.
... Une âme étrangement dans les choses tressaille,
Murmure ou craquement, quon ne définit point.
Tout dort ; on nentend plus, même de loin en loin,
Quelque pas décroissant le long de la muraille.
Pâle, jécoute au bord du silence béant.
La nuit autour de moi, muette et sépulcrale,
Souvre comme une haute et sombre cathédrale
Où le bruit de mes pas fait sonner du néant.
Jécoute, et la sueur coule à ma tempe blême,
Car dans lombre une main spectrale ma tendu
Un funèbre miroir où je vois, confondu,
Monter vers moi du fond mon image elle-même.
Et peu à peu jéprouve à me dévisager
Comme une inexprimable et poignante souffrance,
Tant je me sens lointain, tant ma propre apparence
Me semble en cet instant celle dun étranger.
Ma vie est là pourtant, très exacte et très vraie,
Harnais quotidien, sonnailles de grelots,
Comédie et roman, faux rires, faux sanglots,
Et cette herbe des sens folle, comme livraie...
Et tout savère alors si piteux et si vain,
Tant de mensonge éclate au rôle que jaccepte,
Que le dégoût me prend dêtre ce pître inepte
Et de recommencer la parade demain !
Les heures de la nuit sont lentes et funèbres.
Langoisse comme un drap mouillé colle à ma chair ;
Et ma pensée, ainsi quun vaisseau sous léclair,
Roule, désemparée, au large des ténèbres.
De mortelles vapeurs assiègent mon cerveau...
Une vieille en cheveux qui rôde dans des tombes
Ricane en égorgeant lentement des colombes ;
Et sa main de squelette agrippe mon manteau...
Cloué par un couteau, mon coeur bat, mon sang coule...
Et cest un tribunal au fond dun souterrain,
Où trois juges, devant une table dairain,
Siègent, portant chacun une rouge cagoule.
Et mon âme à genoux, devant leur trinité,
Râle, en claquant des dents, ses hontes, sa misère.
Et leur voix na plus rien des pitiés de la terre,
Et les trous de leurs yeux sont pleins déternité.
... Mais soudain, dans la nuit dhiver profonde encore,
Tout mon coeur dun espoir immense a frissonné,
Car voici quargentine, une cloche a sonné,
Par trois coups espacés, la messe de laurore.