Poésie : La bénédiction de la mer

Écrit par Émile Verhaeren

Les guirlandes du vent joli
Tournent, gaîment, autour des Mâts ;
Au long du quai dorment, par tas,
Les avirons clairs et polis.

Et les cloches sonnent aux tours d'Ostende.

Aux carrefours, aux fenêtres, sur les trottoirs,
Ceux des dunes, des champs, des bourgs, des landes,
Tous sont accourus voir
Saintes et saints de la légende
Passer, et le Bon Dieu et la Vierge sa Mère
Gagner la digue et puis dé là, bénir la mer.

Ce sont d'abord les enfants de l'école
Passant sous un envol de banderoles ;
Et puis les chefs et les régents
De l'hôpital et de l'hospice,
Et les nonnes et les novices ;
Et puis saint Pierre et puis saint Jean.

Sur double rang suivent les confréries,
De saint Joseph et de Marie,
Et les tireurs à l'arc hissant l'oiseau

Sur un roseau ;
Et les bergers et les bergères
Agitant, doucement, des houlettes légères
Et s'avançant, comme un jardin mouvant ;
Et les pêcheurs tenant des barques minuscules,
Entre leurs bras musclés comme les bras d'Hercule ;
Et des hommes rugueux aux visages de bois ;
Et des bambins coiffés d'un clair chapeau chinois ;
Et puis les bedeaux lourds et leurs aides robustes,
Qui, maintenant la hampe à la hauteur des bustes,
Poussent, d'un large effort, tous ensemble, en avant,
La fougue des drapeaux gonflés d'ombre et de vent.

Au loin, tandis que le pas grave et raide
De ses servantes la précède,
S'avance alors,
Sous un dais lourd, comme un trésor,
Notre-Dame des Sept-Douleurs :
Un voile noir lui descend de la tête,
Sa longue robe est violette,
Et les couteaux d'argent qui perforent son coeur
Apparaissent, parmi ses vêtements funèbres,
Comme un soleil martyrisé dans les ténèbres.

Et défilent après elle, l'essaim
Des carmes blancs et des roux capucins,
Et les chantres clamant les hauts versets bibliques,
Les yeux saillants, la bouche oblique.
Puis tout se tait - et plus rien ne s'entend
Sinon le tintement
Furtif et net
D'une sonnette :
Un flot d'enfants de choeur passe vêtu de rouge :
L'encens torride et bleu
Fume vers le Bon Dieu.

Et le voici le solennel doyen,
Sous les franges du baldaquin,
Erigeant droit, d'entre ses mains,
L'ostensoir d'or qui bouge.

Et la foule qui s'est jetée à deux genoux
Se courbe et se relève, avec de grands remous,
Et suit dévotement, jusqu'à la grève,
Par les places et les marchés,
Le long cortège empanaché
De sa croyance et de son rêve.

L'autel est là ; la mer en face.
Entre eux, rien que le ciel et que l'espace.
Et le prêtre s'avance et monte et s'éblouit,
Et propage soudain, avec ses mains tremblantes,
Devant la foule ardente et violente,
Son geste en croix sur l'infini.

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