Poésie : Quand vous lirez, ô Dames Lyonnoises
Écrit par Louise Labé
Quand vous lirez, ô Dames Lyonnoises,
Ces miens écrits pleins d'amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes
M'orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c'est erreur. Mais qui dessous les Cieux
Peut se vanter de n'être vicieux ?
L'un n'est content de sa sorte de vie,
Et toujours porte à ses voisins envie ;
L'un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tâche y mettre la guerre ;
L'autre, croyant pauvreté être vice,
A autre Dieu qu'Or ne fait sacrifice ;
L'autre sa foi parjure il emploiera
A décevoir quelqu'un qui le croira ;
L'un, en mentant, de sa langue lézarde,
Mille brocards sur l'un et l'autre darde.
Je ne suis point sous ces planètes née,
Qui m'eussent pu tant faire infortunée.
Onques ne fut mon oeil marri, de voir
Chez mon voisin mieux que chez moi pleuvoir ;
Onq ne mis noise ou discorde entre amis ;
A faire gain jamais ne me soumis ;
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m'a déplu, que médire de lui.
Mais, si en moi rien y a d'imparfait,
Qu'on blâme Amour : c'est lui seul qui l'a fait.
Sur mon vert âge en ses lacs il me prit,
Lorsqu'exerçais mon corps et mon esprit
En mille et mille oeuvres ingénieuses,
Qu'en peu de temps me rendit ennuyeuses.
Pour bien savoir avec l'aiguille peindre,
J'eusse entrepris la renommée éteindre
De celle-là qui, plus docte que sage,
Avec Pallas comparait son ouvrage.
Qui m'eût vue lors en armes fière aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l'étour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Soeur de Roger, il m'eût, possible, prise.
Mais quoi ? Amour ne put longuement voir
Mon coeur n'aimant que Mars et le savoir ;
Et, me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disait ainsi :
Tu penses donc, ô Lyonnaise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flamme ?
Mais non feras, j'ai subjugué les Dieux
Es bas Enfers, en la Mer et ès Cieux.
Et penses-tu que n'aye tel pouvoir
Sur les humains, de leur faire savoir
Qu'il n'y a rien qui de ma main échappe ?
Plus fort se pense, et plus tôt je le frappe.
De me blâmer quelquefois tu n'as honte,
En te fiant en Mars, dont tu fais conte ;
Mais maintenant, vois si, pour persister
En le suivant, me pourras résister.
Ainsi parlait, et tout échauffé d'ire,
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et, décochant de son extrême force,
Droit la tira contre ma tendre écorce :
Faible harnais pour bien couvrir le coeur
Contre l'archer qui toujours est vainqueur.
La brèche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premièrement il chasse,
Et, de travail qu'il me donne sans cesse,
Boire, manger et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d'ombrage ;
Je n'ai qu'Amour et feu en mon courage,
Qui me déguise et fait autre paraître,
Tant que ne peux moi-même me connaître.
Je n'avais vu encore seize Hivers,
Lorsque j'entrai en ces ennuis divers ;
Et jà voici le treizième Eté
Que mon coeur fut par Amour arrêté.
Le temps met fin aux hautes Pyramides,
Le temps met fin aux fontaines humides :
Il ne pardonne aux braves Colisées,
Il met à fin les villes plus prisées ;
Finir aussi il a accoutumé
Le feu d'Amour, tant soit-il allumé.
Mais, las ! en moi il semble qu'il augmente
Avec le temps, et que plus me tourmente.
Pâris aima OEnoné ardemment,
Mais son amour ne dura longuement ;
Médée fut aimée de Jason,
Qui tôt après la mit hors sa maison.
Si méritaient-elles être estimées,
Et, pour aimer leurs Amis, être aimées.
S'étant aimé, on peut Amour laisser,
N'est-il raison, ne l'étant, se lasser ?
N'est-il raison te prier de permettre,
Amour, que puisse à mes tourments fin mettre ?
Ne permets point que de Mort fasse épreuve,
Et plus que toi pitoyable la treuve ;
Mais si tu veux que j'aime jusqu'au bout,
Fais que celui que j'estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer et rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son âme,
Ou plus ardente, ou bien égale flamme.
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand avec moi quelqu'un le portera.
Ces miens écrits pleins d'amoureuses noises,
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes
M'orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c'est erreur. Mais qui dessous les Cieux
Peut se vanter de n'être vicieux ?
L'un n'est content de sa sorte de vie,
Et toujours porte à ses voisins envie ;
L'un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tâche y mettre la guerre ;
L'autre, croyant pauvreté être vice,
A autre Dieu qu'Or ne fait sacrifice ;
L'autre sa foi parjure il emploiera
A décevoir quelqu'un qui le croira ;
L'un, en mentant, de sa langue lézarde,
Mille brocards sur l'un et l'autre darde.
Je ne suis point sous ces planètes née,
Qui m'eussent pu tant faire infortunée.
Onques ne fut mon oeil marri, de voir
Chez mon voisin mieux que chez moi pleuvoir ;
Onq ne mis noise ou discorde entre amis ;
A faire gain jamais ne me soumis ;
Mentir, tromper, et abuser autrui,
Tant m'a déplu, que médire de lui.
Mais, si en moi rien y a d'imparfait,
Qu'on blâme Amour : c'est lui seul qui l'a fait.
Sur mon vert âge en ses lacs il me prit,
Lorsqu'exerçais mon corps et mon esprit
En mille et mille oeuvres ingénieuses,
Qu'en peu de temps me rendit ennuyeuses.
Pour bien savoir avec l'aiguille peindre,
J'eusse entrepris la renommée éteindre
De celle-là qui, plus docte que sage,
Avec Pallas comparait son ouvrage.
Qui m'eût vue lors en armes fière aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l'étour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Soeur de Roger, il m'eût, possible, prise.
Mais quoi ? Amour ne put longuement voir
Mon coeur n'aimant que Mars et le savoir ;
Et, me voulant donner autre souci,
En souriant, il me disait ainsi :
Tu penses donc, ô Lyonnaise Dame,
Pouvoir fuir par ce moyen ma flamme ?
Mais non feras, j'ai subjugué les Dieux
Es bas Enfers, en la Mer et ès Cieux.
Et penses-tu que n'aye tel pouvoir
Sur les humains, de leur faire savoir
Qu'il n'y a rien qui de ma main échappe ?
Plus fort se pense, et plus tôt je le frappe.
De me blâmer quelquefois tu n'as honte,
En te fiant en Mars, dont tu fais conte ;
Mais maintenant, vois si, pour persister
En le suivant, me pourras résister.
Ainsi parlait, et tout échauffé d'ire,
Hors de sa trousse une sagette il tire,
Et, décochant de son extrême force,
Droit la tira contre ma tendre écorce :
Faible harnais pour bien couvrir le coeur
Contre l'archer qui toujours est vainqueur.
La brèche faite, entre Amour en la place,
Dont le repos premièrement il chasse,
Et, de travail qu'il me donne sans cesse,
Boire, manger et dormir ne me laisse.
Il ne me chaut de soleil ne d'ombrage ;
Je n'ai qu'Amour et feu en mon courage,
Qui me déguise et fait autre paraître,
Tant que ne peux moi-même me connaître.
Je n'avais vu encore seize Hivers,
Lorsque j'entrai en ces ennuis divers ;
Et jà voici le treizième Eté
Que mon coeur fut par Amour arrêté.
Le temps met fin aux hautes Pyramides,
Le temps met fin aux fontaines humides :
Il ne pardonne aux braves Colisées,
Il met à fin les villes plus prisées ;
Finir aussi il a accoutumé
Le feu d'Amour, tant soit-il allumé.
Mais, las ! en moi il semble qu'il augmente
Avec le temps, et que plus me tourmente.
Pâris aima OEnoné ardemment,
Mais son amour ne dura longuement ;
Médée fut aimée de Jason,
Qui tôt après la mit hors sa maison.
Si méritaient-elles être estimées,
Et, pour aimer leurs Amis, être aimées.
S'étant aimé, on peut Amour laisser,
N'est-il raison, ne l'étant, se lasser ?
N'est-il raison te prier de permettre,
Amour, que puisse à mes tourments fin mettre ?
Ne permets point que de Mort fasse épreuve,
Et plus que toi pitoyable la treuve ;
Mais si tu veux que j'aime jusqu'au bout,
Fais que celui que j'estime mon tout,
Qui seul me peut faire plorer et rire,
Et pour lequel si souvent je soupire,
Sente en ses os, en son sang, en son âme,
Ou plus ardente, ou bien égale flamme.
Alors ton faix plus aisé me sera,
Quand avec moi quelqu'un le portera.