Poésie : Livre premier

Écrit par Pierre De Saint-Louis

La voici donc recluse en cette grotte sombre,
Comme les morts du siècle ensevelis dans l'ombre,
N'y voyant rien du tout des yeux de son esprit,
Que l'amour et la mort de son cher Jésus-Christ.
Ils lui servent tous deux comme d'un double livre,
Dont l'un la fait mourir, et l'autre la fait vivre ;
Considérant toujours sur ce portrait divers
Ou le beau de l'endroit, ou le laid de l'envers,
Elle voit et revoit ces différentes faces,
Et n'a pour ses miroirs que ces ardentes glaces.

Ce tableau, qu'elle prend d'un et d'autre côté,
Lui peint de son amant l'horreur et la beauté,
Tantôt le faisant voir sous sa plus belle forme,
Et presque en même temps horriblement difforme,
Ou beau comme au Thabor, s'étant transfiguré,
Ou laid comme au Calvaire et tout défiguré.
Tantôt sous sa dorée et riche chevelure,
S'en figurant ici l'éclatante figure,
Sous cette majesté, sous ses beaux yeux vainqueurs,
Qui menaient en triomphe et les yeux et les coeurs,
Puis sous un épineux et piquant diadème,
Les cheveux arrachés, meurtri, sanglant et blême,
Et ses yeux à demi de la tête sortis,
Deux astres éclipsés, deux flambeaux amortis.
Puis au Temple et parfois dans la place publique
Charmant par ses regards et par sa rhétorique
Et l'oreille, et les yeux de tous ses auditeurs,
Qui sont de ses discours autant d'admirateurs ;
Mais venant au revers et tournant la médaille,
Elle l'entend crier, au fort de la bataille,
Au milieu des larrons, des tyrans, des bourreaux,
Environné de loups, de chiens, et de taureaux.

Puis suivi d'une troupe obligeante et civile,
Elle le voit aller triomphant dans la ville,
Au doux bruit des péans, des acclamations,
Jointes à l'hosanna des bénédi&ions.
Après un si beau temps, elle voit les tempêtes,
Et n'entend que clameurs, fanfares et trompettes,
Blasphèmes, sifflements, injures et mépris,
Dans la confusion, le désordre et les cris. [...]

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