Prose:Jeanne

JEANNE
Sur la côte d’azur, le 10 février 2012, Jeanne petite femme élancée, marche rapidement pour rejoindre son domicile, après une journée de shopping.
Son époux, absent depuis 3 mois ne lui pas téléphoné de la journée, ce qui l’inquiète beaucoup. Jeanne est une personne douce et sensible, et particulièrement à l’écoute des autres. Sa vie entièrement dédiée à sa famille, ne l’a pas fait se sentir moins utile, ou moins intelligente qu’une autre. Élever ses enfants reste pour elle, la plus noble tâche qu’une femme puisse accomplir.
Devant la porte d’entrée de son domicile, elle hésite. Ce soir elle sera de nouveau, seule, et elle n’a pas osé appeler une amie, pour lui tenir compagnie, de peur de la déranger. Elle commence à s’habituer à ces soirées qui s’étirent interminablement, même si cela est difficile de rentrer dans une maison vide de bruit et d’êtres vivants. Même plus le miaulement du chat qui l’accueillait joyeusement. Il a été euthanasié le mois dernier. Délicatement elle ôte ses chaussures à talons aiguilles pour les ranger dans le placard, après avoir déposé son manteau en fourrure sur la méridienne de l’entrée. Elle le rangera plus tard. Elle n’attend personne ce soir.
Ses chaussons bleus aux pieds, Jeanne entre dans le salon qui domine la mer. Son regard de la couleur d’un ciel d’orage balaie le paysage, qui se déploie derrière la baie vitrée. Son esprit est bien loin de l’onde des vagues. Elle pense à sa dernière fille, qui doit être sur le départ pour les îles Féroé… Elle dépose ses paquets sur la table, et sort précautionneusement, une robe de demi-saison, qu’elle décide d’essayer sur le champ.
Son pull-over à col roulé, en passant par-dessus sa tête, met ses lourds cheveux grisonnants en bataille. Qu’importe… La robe se déploie sur son corps aux formes encore affirmées, et elle se regarde dans le miroir du salon. Petite, avec un visage triangulaire, une poitrine encore ferme, une taille marquée et des jambes magnifiques, elle se tourne et se retourne pour voir l’effet de sa nouvelle robe. Le choix est bon. La couleur de la robe s’harmonise bien avec son teint clair. Son fils Maxence, lui aurait fait un beau compliment s’il était à côté d’elle. Un sourire s’esquisse sur ses lèvres en pensant à lui. Mais non, il faut qu’elle arrête de se faire mal. Les enfants sont grands, et ils ont quitté le nid douillet.
Jeanne décide de garder la robe, sur elle. Elle n’a pas le courage de se changer à nouveau. Elle se dirige vers la cuisine, lentement, l’esprit ailleurs. Pas de nouvelles d’aucun membre de la famille, aujourd’hui. M’auraient-ils oublié ? Arrête sombre idiote, ils ont d’autres chats à fouetter que de passer leur temps pendus au téléphone avec leur mère, pense-t-elle pour se rassurer. Elle ouvre le frigo, et sort un yaourt, qu’elle déguste tranquillement assise sur le haut tabouret. Sans même y faire attention, des larmes lui montent aux yeux, et roulent sur ses pommettes saillantes. Avoir l’aisance financière qu’elle a, et se retrouver toute seule, comme une pauvre cloche à manger un yaourt sur un coin de table, lui fait monter la colère. Elle a tout donné : sa virginité, ses nuits, ses jours, sa patience, sa compréhension, sa tolérance, pour en arriver là. L’argent ne fait pas le bonheur. Elle en est intimement persuadée. Surement aurait-elle été plus heureuse, dans une famille modeste, avec un époux présent et des enfants vieillissant à proximité.
« Tu ne vas quand même pas te plaindre. Des gens meurent de faim, de froid de soif, vivent en guerre… Et toi tu pleures sur ton triste sort, qui n’en est pas un. Allez remue-toi, idiote » s’entend t-elle dire à haute voix.
Jeanne prend le temps de ranger des bricoles qui traînent sur le plan de travail, de passer une éponge sur l’évier, d’arranger le bouquet de fleurs séchées qui trône sur la table, histoire de s’occuper, même si la femme de ménage doit venir demain matin. Elle se donne l’impression d’être utile, et de tenir son rôle de femme d’intérieur.
Elle attrape un verre à pied ciselé, et se sert du vin. Jeanne aime le vin.
Bordelaise de naissance, elle a grandi dans les vignobles du domaine de son père sur les bords de la Garonne. Et son esprit se met à vagabonder… . Sa mère autoritaire, son père tout doux et câlin, ses chiens, sa poule, le jardin potager, le noyer… Mon Dieu que c’est loin tout cela. Mais comme la vie était douce et sereine, blottie entre les bras de la Garonne et son tendre papa. Le vin lui apporte un peu de réconfort. Elle se dirige vers le lave-vaisselle, pour y déposer son verre sale. Le bruit de la sonnette la fait sursauter, et lâcher le verre, qui se brise en mille éclats. Et zut… !
Un peu en colère, contre elle, Jeanne prend le temps de se calmer, avant d’aller ouvrir la porte à l’intrus qui vient de lui faire briser un des verres offert par son père. Elle jette un œil au miroir de l’entrée, remet un peu d’ordre dans ses cheveux, et déverrouille la porte d’entrée.
Personne, juste un gigantesque bouquet de fleurs sur le seuil. Jeanne sort pour voir si le livreur est encore à proximité. La rue est déserte. Elle fait demi-tour et rentre. Le temps de sortir la carte épinglée à la cellophane, et la sonnette retentit de nouveau.
- « CA va durer longtemps ce petit jeu ? » Dit-elle derrière la porte.
- « Le temps que tu nous ouvres ! » Lui répond une voix qu’elle connaît parfaitement.
Son cœur se met à battre la chamade, lorsque se dessine à contre-jour la silhouette de son fils, puis celle de sa fille, et enfin celle de son époux.
Des larmes de joie inondent son fin visage, quand son fils se serre contre elle, en lui murmurant : Joyeux anniversaire ma maman, quand sa fille lui pose un gros baiser sur la joue, en lui criant dans l’oreille : bon anniversaire, ma mounette jolie, et que son époux l’enlace tendrement.
Jeanne, aujourd’hui, fête ses soixante ans.
02. 12. 2015