Prose:La Rose Et Le Papillon

Toi, je t’aimais… je t’attendais chaque jour, offrant mes pétales doux et parfumés à ta caresse matinale. Tu m’effleurais, délicatement et tu te posais là, au creux de moi, afin d’extraire cette essence de vie, le pollen, que tu semais ensuite sur d’autres fleurs afin d’assurer ma descendance… Et moi, je t’admirais, je t’enviais toi, tu voyais le monde, tu volais, j’imaginais tous ces paysages inconnus que tu survolais et que moi je ne connaîtrais jamais…
J’ai aimé lorsqu’un jour de pluie, tu es resté plus longtemps, t’abritant entre mes pétales, sur mon cœur, tes ailes frémissantes, repliées contre moi, le vent me courbait la tête et j’adorais sentir tes minuscules pattes s’agripper à mon pistil… Moment délicieux que j’aurai aimé prolonger, mais auquel le soleil, revenu, mit fin… J’ai aimé te regarder t’envoler encore une fois, espérant te revoir à la prochaine aurore…
J’ai détesté ne plus te voir, j’ai détesté la venue de l’automne, j’ai détesté les jardiniers qui cueillirent, nous, les plus belles roses du jardin, pour nous transporter chez un fleuriste. J’ai détesté être ballotée dans cette camionnette, serrée contre mes infortunées compagnes, j’ai détesté cette promiscuité avec des fleurs subalternes, destinées à la vente aux supermarchés, sans odeur, sans parfum, toutes identiques, sans personnalité, j’ai détesté ce magasin, ce gros pot de fer avec si peu d’eau, cet éclairage électrique, moi qui aimais tant me réchauffer à la lumière du soleil… J’ai détesté être regardée, malmenée, offerte à l’envie de vieux messieurs libidineux, achetant des roses sublimes, comme moi, pour leur jeune maîtresse du moment.
J’ai détesté ne plus te voir, toi, mon beau papillon, qu’es-tu donc devenu ? J’ai détesté la brièveté de nos vies… Ephémères nous sommes toi et moi… Que reste-t-il de nos amours de l’été dernier ? me disais-je, tandis que l’on m’incorporait à un bouquet de mariée, voué à se faner dès la fin de la noce… Que reste-t-il de nous ? Qu’es-tu donc devenu mon beau papillon, si fier de tes ailes au graphisme irréel, striées de noir, de jaune, de rouge, de petits points blancs, véritable œuvre d’art de la nature, tu étais si beau, sans doute es-tu déjà parti de l’autre côté de ta courte existence, après avoir butiné et virevolté de l’une à l’autre… Te souviens-tu de moi, as-tu pensé à moi lorsque tu as rendu l’âme ?
Maintenant lorsque j’y pense, juste avant de m’endormir à jamais, recroquevillée contre mes compagnes, fanées comme moi, au fond d’un tiroir, je me dis que ma foi j’ai eu une belle vie, mon histoire d’amour avec le papillon, la certitude que mon pollen a assuré ma descendance et toutes ces jeunes roses à peine écloses pourront dire de moi comme le disait si bien Ronsard : « Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un instant… ».