Poème:Je Ne Veux Pas Me Souvenir

Je ne veux pas me souvenir de ton corps si doux. Je ne veux pas me souvenir du premier baiser échangé sous les regrets de l’alcool. Je ne veux pas me souvenir de ton goût de fruit. Je ne veux pas me souvenir du quai de la gare. Je ne veux pas me souvenir de toutes ces fois où je t’ai attendu, le cœur battant la chamade. Je ne veux pas me souvenir de toutes ces fois où tu es arrivé. Je ne veux pas me souvenir de nos corps assoiffés, de nos âmes insatiables. Je ne veux pas me souvenir que nos corps, parfois, ne formaient qu’une grouillante unicité. Je ne veux pas me souvenir que je connaissais ta peau mieux que la mienne. Je ne veux pas me souvenir de nos nuits aux solitudes duales. Je ne veux pas me souvenir de tes yeux qui murmuraient : « reste veux-tu bien ». Je ne veux pas me souvenir de tes paroles que je jugeaient sacrées. Je ne veux pas me souvenir des indécences que nous avons fait subir au ciel. Je ne veux pas me souvenir des rires, des nuits à refaire le monde avec l’acuité propre aux êtres imbibés par l’alcool. Je ne veux pas me souvenir de ton sourire étincelant. Je ne veux pas me souvenir de tes yeux défoncés par trop de défonce. Je ne veux pas me souvenir de ton cul. Je ne veux pas me souvenir des enfants que nous n’avons pas eus. Je ne veux pas me souvenir de ces mots que j’inscrivais sur ton dos quand tu dormais, et que seule la nuit éclairait ma douce solitude. Je ne veux pas me souvenir que je t’aimais ; je ne veux pas me souvenir que parfois, toi aussi tu m’aimais. Je ne veux pas me souvenir de nos perversions, de nos vices. Je ne veux pas me souvenir du sens que nous donnions à ce que nous vivions alors. Je ne veux pas. J’ai bien peur, désormais, que mes mots soient les enveloppes charnelles de ton absence. Comme un serpent qui mue. Je ne veux pas que le silence, de nouveau, m’oblige à sonner l’hallali de notre première défaite. Non, je ne veux plus me souvenir de toi et du fait potentiellement gênant que nous étions deux autrefois.