Prose:Naitre Ou Ne Pas Être ?

Aurais-je pu savoir, à mon premier réveil, de quoi le monde serait-il fait ? Aurais-je pu deviner l’atrocité d’une humanité hantée d’elle même ; les aspects de nos souffrances ingurgitées ? Aurais-pu naître comme je l’ai fais, sans honte ni regret, d’appartenir à une espèce assassine ?
Combien de ces savoirs glauques auraient suffit pour me faire perdre l’envie d’être à mon tour quelqu’un de ce monde ? Aurais-je pu être fier de perpétuer l’horreur tracée par nos jours historiques, qui ont su balafrer la terre plus que mes yeux ne peuvent la pleurer ? Aurais-je décidé, au-delà d’un vœu inconscient, de voir les jours s’assombrir d’un dégradé de tristes poussières ? Si vous m’aviez dit ce qui m’attendait, vous aurais-je alors rejoins ?
Je crois bien que oui…
Oui. Parce qu’au delà des maux qui saignent, de nos égos corrosifs, de nos mondes perdus… au delà émane un régal à se savoir vivant. Je n’ai qu’à regarder le ciel pour comprendre que la beauté à elle aussi tacheté ma vie en arborescence. Aurais-je pu passer à côté des plus beaux éveils qui m’ont été donné : l’ivresse de l’âme quand vibrent les cordes frottées, les sons de vos voix quand elles s’unissent en chanson, les nœuds dans mes tripes quand mes rires s’exaltent plus haut que je n’oserai les vivre ?
Oui. Parce que le goût de partager avec vous les mets et fumets de vos façons d’être, m’envoute plus fortement que la honte d’être humain ne saurait me paralyser. Parce qu’en aucun cas je n’aurais pu exprimer mon désaccord quant aux méandres que l’on impose aux habitants du globe. Parce que la jouissance que l’on partage, de corps comme d’esprit, m’impacte bien trop pour que je ne la laisse filer sans vouloir m’y lover. Alors je remercie la vie, dans ses moments de grands émois qui ont pu me galvaniser, de ne m’avoir laissé le choix d’en faire partie.
Mais à ça s’ajoute une question : dois-je me perpétuer en assumant que l’avenir a ses branches rongées et que pourtant mes prochains devront s’y accrocher, dois-je donc imposer le calvaire comme un cadeau futur ? Ou bien, dois-je condamner l’espèce à disparaître pour qu’elle n’emporte avec elle toutes celles qui n’ont pu se poser la question, et par là, dois-je dire adieu à la musique, adieu à l’amour, adieu aux espoirs…