Prose:Portrait D’une Inconnue

Il y a…

Il y a cette vielle dame assise en face de moi, le regard vide, les traits tirés, principalement autour de ses lèvres fines qui tirent vers le bas. N’a-t-elle jamais souri ? Toute l’expression de son visage pourrait nous le confirmer. Ses grosses lunettes (plus rondes qu’ovales) cerclées de doré, on ne les retrouve plus que dans certains vieux feuilletons dépassés. Tout chez elle est d’un autre temps, aussi bien sa tenue vestimentaire que son allure entière. En bonne chrétienne (j’imagine) , elle est habillée le plus sobrement possible (plus sobre, on pourrait croire à une nonne) : petit pull à col en V en grosse laine grise dont la couleur qui déjà n’a rien d’attractif est passée, laissant dépassé un col de chemise mal repassée à motif cashmere vert, bleu et violet (un crime pour l’harmonie des couleurs ! ) . Pour ce qui est du reste, une jupe plissée longue jusqu’à demi mollet, grise toujours, cache le peu de formes et de féminité que cette femme pourrait encore avoir à son âge. En effet, elle doit avoir à peine 50 ans et on lui en donnerait 70. Elle se passe la main sur le visage, insiste sur le front et les yeux et le massage devient de plus en plus énergique comme si elle essayait de faire taire une petite voix dans sa tête, d’écraser par la force de ses doigts pourtant si frêles tous ses problèmes et peut être même tout simplement pour sentir par elle-même que physiquement elle est encore là, parmi nous, que tout ceci n’est pas un mauvais cauchemar dont elle voudrait se réveiller dans une grande bouffée d’air.
Mais laissons la vielle dame que je me plairais à appeler Marie. Car Marie vient désormais de descendre du bus, peinant à se lever, sans personne pour l’aider, mais qu’importe ! Elle n’a besoin de personne Marie, ça fait bien longtemps qu’elle ne compte plus sur les Autres ni sur l’Amour. Elle y a longtemps cru mais désormais à l’automne de sa vie, tout cela n’est plus que futilité. Et elle a bien raison Marie, de continuer sa vie, platonique, routinière, écrasante, malgré ses cernes creusés tels de profonds sillons d’un bleu violacé, son sourire inversé. Il lui reste tant de choses à vivre à Marie. Passer de merveilleux moments avec ses petits enfants qui en criant l’appelleront Mamie (ça l’agacera, mais elle le cachera car l’amour va bien au-delà de cela heureusement) : « Mes petits amours… », je l’entends dire.

Marie est partie. Nous ne nous sommes à peine regardé, même pas parlé, mais je la connais désormais et vous aussi.

Il y a des personnes comme Marie qui, d’un seul échange de regard, aussi furtif soit il, vous dévoile leur vie et vous amène un peu plus loin que vous ne l’auriez imaginé, dans une intimité jusque là voilée, et qui étrangement vous apparaît brutalement sans aucune pudeur.