Poème:Ton Ultime Murmure

Ca va passer, t’emballe pas.
La colère c’est comme le reste.
Ne mène pas tous les combats,
Ne regard’ pas c’que tu détestes.

Et si tu trouves la vie injuste,
C’est qu’t’as pas encore vu grand-chose.
Et puis d’abord, dis moi c’qui est juste
Quand il y a des bombes qui explosent ?

Mais on arrive au bout, t’inquiète,
D’un monde qui a fait son temps.
D’ici peu, faudra bien qu’tout pète
Même si tout l’monde fait semblant.

C’est vrai que c’est bien plus facile
De consommer jusqu’à l’outrance,
D’attendre la fin, muet, docile,
En s’disant qu’il nous reste une chance.

D’avancer en baissant les yeux
De se taire et de ne rien faire.
D’attendre encore que ce soit Dieu
Qui vienne nous tirer d’affaire.

Je sais que toi t’y arrives pas,
Que tu as trop de choses en toi,
Que tu espères à chaque pas
Que chang’ront les hommes et les lois.

Tu te révoltes car l’injustice
Te semble ignoble et douloureuse.
Mais le monde n’est plus que vice
Et les âmes ne sont plus que creuses.

Pour moi il est déjà trop tard.
J’ai, à ton âge, levé le poing,
Tenté de sortir du brouillard,
Espéré la lumière au loin.

A force, tu sais, on se fatigue.
On prend des coups et on en rend.
Entre concessions et intrigues,
On finit par rentrer dans l’rang.

Me reproche pas ce que je suis,
J’étais sans doute pas assez pur.
La vérité, du fond du puits,
Finalement est restée obscure.

J’ai égaré en causes perdues
Le peu de forces que j’avais,
A force de porter aux nues
Des idées qui n’viendront jamais.

J’ignore si je suis dev’nu lâche
Ou fataliste en vieillissant.
C’est vrai que maint’nant je me cache.
C’est sûr qu’il est passé mon temps.

Aujourd’hui, je regarde inquiet
Tes bras qui s’agitent en vain,
Qui veulent se battre pour une paix
Que tu penses conquérir demain.

Je n’aurais pas du te nourrir
De tout’s ces idées libertaires.
Elles ne feront que te pourrir
Pour la durée d’une vie entière.

Je ne peux m’empêcher de croire
Que toi tu seras différente,
Que tu seras fille de l’espoir,
Debout, dressée dans la tourmente.

Et mes larmes coulent déjà
Car j’ai appris à mes dépends
Que jamais rien ne permettra
Que notre monde soit autrement.

Je vois tes yeux sous un bandeau,
Ton dos collé contre le mur,
Ton sang coulant tel un ruisseau.
J’entends ton ultime murmure.