Prose:Vas Me Servir Un Autre Wisky Et J’pourrai Te Rendr

Que fais-je ici ? Je n’en n’ai pas la moindre idée. Que peut faire un homme dans un bar en fin de journée ? Il y a celui qui fume sa pipe en terrasse en lisant son journal, un vieillard dont les rides dessinent ses plus beaux sourires passés. Il y a l’homme assis en face de moi. Celui-là est en costard cravate, probablement un commercial, qui vient boire un coup afin de décompresser de sa journée. Il y a cette femme accoudée au bar qui a surement déjà trop bu. Peut-être noie-t-elle ses chagrins. Quel dommage, une si belle femme qui s’abime avec l’alcool. Il y a ces jeunes amoureux, qui n’ont qu’un verre pour deux. Mais ne le voit-il pas dans ses yeux qu’elle en aime, ou qu’elle en aimera, un autre ? Et elle ne voit-elle pas qu’il ne pense déjà plus à elle ou que ça ne va pas tarder et qu’il en sautera une autre ? J’ai envie de leur hurler à ces jeunes, qui se croient seuls au monde, qu’un jour l’amour s’arrêtera et que les blessures seront terribles. Mais ils ne me croiraient pas. Je n’y ai pas cru moi. On est con quand on aime. Il y a aussi le barman, je ne pourrais vous dire s’il est jeune ou vieux, l’alcool lui enlève la vie. Il n’a pas l’air heureux sous ce regard distrait. Et puis il y a moi. Je ne saurais vous dire à quoi je ressemble, certainement à une loque, un marin échoué, une guitare sans corde, un ciel bleu sans soleil, la tristesse sans larmes, l’amour sans peine, je ne ressemble surement à rien. Un pauvre homme qui vient noyer son chagrin dans l’alcool. Ou qui essaie. Vous savez si je vous raconte tout ça c’est pour ne pas aller à l’essentiel. Parce que ce sont des choses qui font mal. Et on a peur de la souffrance. Moi je l’aime, je la trouve belle, elle m’inspire. Mais elle me tue petit à petit et je ne peux plus supporter. L’essentiel tue de l’intérieur. L’essentiel c’est elle, cette femme. Je ne vais pas vous dire qu’elle était la femme de ma vie, mais elle était différente. Pas de celles qui sont différentes pour un seul homme, non elle est unique aux yeux de tous. Vous savez j’en ai connu des femmes, je faisais partie de ceux qui préfèrent s’attacher à mille paires de fesses plutôt qu’à une seule femme. Mais elle n’est pas une femme, elle est La femme. C’est étrange à dire. Je n’étais pas amoureux, ou alors je ne me l’avouais pas. Mais je pense qu’aucune femme ne lui ressemble. Elle est trop spéciale pour ça. Elle est comme la peste, elle tue tous ceux qui l’approchent. Elle a fait tant de malheur sur son passage, et moi je me suis pris pour le preux chevalier qui pourrait conquérir son cœur. Sauf que son cœur ne peut être conquis. Pouvez-vous arrêter un vagabond ? Son cœur en est un… Elle est un aimant, ou plutôt une veuve noire, elle attire sa proie s’en amuse et la tue, de l’intérieur, là où ça fait le plus mal. Mais on ne peut pas lui en vouloir, elle ne le fait pas exprès. Peut-on en vouloir à une rose ? Elle est pareille, belle et attirante, mais qui ne sait pas qu’elle est pleine d’épines et qu’elle peut blesser. Elle aime sa liberté, vouloir qu’elle aime c’est comme empêcher un oiseau de voler. On peut seulement se contenter de l’aimer, toujours plus, toujours trop. Elle est si belle, si forte, on pourrait croire qu’elle a fait toutes les guerres que le monde ait connu, plus rien ne la touche. Elle se protège de l’amour comme d’autres se protègent de la mort, par peur. Et puis quand elle sent que ses sentiments prennent le contrôle, que ce n’est plus elle qui dirige, elle préfère fuir, s’en aller, loin. Elle est partie. Elle ne l’a pas dit, mais je le sais. Je l’avais lu dans ses magnifiques yeux. Si elle avait dû me l’expliquer elle m’aurait surement dit qu’il en était mieux ainsi, qu’elle était désolée de me faire souffrir. Mais je veux bien payer le reste de ma vie en souffrance pour avoir eut le culot d’aimer une telle femme, de l’aimer elle. À cette heure-ci elle doit déjà en faire souffrir un autre… Et moi je vais vous laisser, un flingue m’attends chez moi, on ne peut plus penser pouvoir vivre heureux lorsque l’on vient de perdre l’être le plus sain et le plus vrai que la Terre connaisse.
Allez un dernier whisky pour la route et j’irais voir à quoi ressemble l’après.