Texte:Ne Pars Pas Avant Moi

ll y a des duos qui s’aguerrissent à l’absence et d’autres qui ne peuvent imaginer une séparation
A qui le tour ?
Toi car tu comptes plus d’années
Moi, le plus fragile
Je coupe mon téléphone chaque soir très tard, le rallume très tôt
Quelques minutes nous séparent en distance
365 jours de possibilités d’invitation, c’est ce que tu m’offres
Le travail est une raison de ne pas accepter une invitation, mais sinon, sans raison, pourquoi ?
« Votre mère ne sera pas toujours là » me rappelle-t-on comme un coup de poignard ou « c’est dans l’ordre des choses », phrase sans âme
Se rendre quelques jours à Paris et sentir dès le train parti, une angoisse qu’il puisse t’arriver quelque chose
Revenir ému en arrivant au moment où tu passes la tondeuse
Puis te voir sourire et l’envie de pleurer
Tu attends chaque fois sur le perron jusqu’à ce que je m’en aille, vient alors la pensée de n’avoir pas été suffisamment à l’écoute, de n’avoir pas assez profité, rongé par la culpabilité
Ou alors d’un simple mot ou regard de ta part, avoir envie de te détester
C’est tout cela à la fois
Un amour avec un fils aux deux pôles des excès
Un coup, l’amour fou
Une autre fois, l’amour couteau
J’avais écrit Bouteille à la mère dont j’ai perdu le texte
Une correspondance imaginaire sans retour pour exprimer l’amour incommensurable que je te porte
J’ai tenté de partir avant toi par la voie médicamenteuse
Tu sais, c’est doux comme de la ouate
Je me sens alors progressivement partir et les angoisses se meurent
Avec toi, je peux être moi-même
Souvent la tête ailleurs et pourtant l’amour présent
Jamais dans la pitrerie, pour cacher mon abyssal mal-être, comme avec les autres
Avec toi, je peux être aimant, mutique, triste, agressif et parfois éclater de rire
« Vous devez avoir beaucoup de tendresse pour votre mère » me dit Madame M
Je me souviens une fois t’avoir projetée violemment contre la malle adossée au canapé comme un rejet, excédé
T’avoir écrit des méchancetés sur un cahier que tu as conservé et caché comme une preuve
Avoir joué au professeur avec toi en t’apprenant ce qu’est un « incipit » à partir d’un roman d’Albert Camus et t’avoir fait réfléchir sur le « libre arbitre »
M’être énervé de t’entendre, , pour la énième fois me demander de relire tes lettres, pour corriger d’éventuelles fautes d’accord, alors que je pourrais être fier de l’importance que tu me portes, toi qui trouves que j’écris si bien et avant que ne sorte mon recueil Tentative de vie
Avoir cassé une assiette pour une parole malheureuse de ta part
Mais je reviens toujours vers toi
C’est comme ça
Comme dit Arielle Dombasle :
Les bonnes mères sont celles qui ne meurent jamais