Poème:Ivresse

Même s’ils sont amis, les visages sont flous.
Ils s’étirent à l’envi avant que de mollir
Ajoutant à l’étrange d’un moment un peu fou
Où la vie me semble n’être qu’un souvenir
Dont la véracité s’estompe avec le temps
Et me colle à la peau dans une sueur moite.
J’entends des voix lointaines parvenir lentement
Dans mon crâne enfoncé dans un carcan de ouate.
Les mots sont inaudibles mais il reste l’espoir
D’encore un dernier verre, d’encore un autre soir.

Les lumières pâlottes dansent en ombres fantômes
Sur les dessins mouvants des murs qui se rapprochent
Comme un loup affamé délaissant son royaume
Pour trouver une proie à offrir à ses proches.
Je balaie d’un geste cette vision inquiétante
N’en ayant nul besoin pour vivre ma folie
Enfouie depuis toujours en mon âme, latente
Et venant aujourd’hui la sentant amoindrie.
Je désire peu de chose avant que tout soit noir :
Peut-être un dernier verre, peut-être un autre soir.

Je sombre, englouti dans une mer de plomb
Mais le démon en moi ne quitte pas le navire.
Plus présent que jamais, il reste sur le pont.
Contempler mon naufrage semble le divertir.
L’alcool s’écoule en moi, long fleuve de quiétude
Apaisant quelque peu mes sentiments confus,
Me ramenant sans joies vers de vieilles habitudes
Où je trouve refuge quand je me vois perdu.
Je n’ai plus rien à dire, je ne peux plus trop croire
Sauf à un dernier verre, sauf à un autre soir.

Mon corps reste debout mais tout en moi se meurt
Comme une bougie fondant, lente déliquescence.
Un bienheureux coma vient suspendre les heures
Et m’emporte avec lui où plus rien n’a de sens.
C’est le moment précieux, tellement attendu,
De l’apaisement tranquille, du désintéressement.
Il ne m’est plus besoin de quêter l’absolu,
Je préfère flotter dans la paix du néant.
Les bouteilles sont vides, il n’est plus rien à boire,
Adieu le dernier verre, adieu le dernier soir.