Texte:Marie

Marie se lève précipitamment et ferme la porte-fenêtre qui donne sur le jardin. Une averse bienvenue vient enfin, rafraîchir l’atmosphère torride qui règne depuis le début de la journée. Un petit sourire aux lèvres, elle observe les vitres dégoulinantes. Du bout de ses longs doigts, elle recopie les buissons de rosiers qui se devinent derrière la buée opaque, que chacune de ses expirations crée.
L’ondée passagère ne laisse que le temps à la nature, d’exhaler ses parfums de terre mouillée et de gazon gorgé d’eau, qui s’engouffrent dans la maison quand Marie ré ouvre le châssis et respire à plein poumons sur la terrasse ruisselante. Pieds nus, en riant, elle patauge dans les flaques d’eau que l’ancien carrelage conserve comme de précieuses oasis.

Le téléphone sonne. Ses petits pieds laissent des traces au sol, tandis qu’elle se dirige vers le guéridon, et empoigne le combiné. « Oui… Pas de problème… Mais je n’ai pas terminé, il me manque l’épilogue… Combien ? … Dix jours ? … Je vais faire pour le mieux. »
Elle se retourne, le visage fermé. Marie est écrivain et passe ses journées le nez sur son ordinateur, à fumer cigarette sur cigarette, et pester contre son clavier qui est un grand consommateur de piles, et fonctionne quand il en a le temps. Ses romans fantasy la conduisent dans des univers invraisemblables. La décoration de sa petite maison ne laisse pas place au doute. Des dragons colorés trônent sur les étagères, des gravures de galions, toutes voiles dehors ornent les murs, des rapières et des épées s’entassent dans un porte-parapluie, et des dizaines de livres historiques et géographiques jonchent le sol.
- La récréation est Terminée, il faut que je m’y mette, dit-elle tout haut.

Marie parle souvent seule et se raconte ses personnages, Cela l’aide à les faire vivre, comme elle se plaît à dire à ses amis et aux journalistes qui l’interviewent régulièrement. Sa notoriété l’a surprise, car elle ne pensait pas pouvoir amener des milliers de lecteurs à suivre les aventures de ses principaux antagonistes, Peter et Mélia, les héros de sa série « Les terres lointaines ». Un couple infernal qui parcoure des contrées et des océans totalement fictifs, peuplés de créatures surnaturelles et de dragons indomptables, qui cependant s’appuient sur des faits réels qu’elle romance à souhait.
Elle s’installe devant son bureau, chausse ses lunettes cerclées d’écailles pour voir de près et laisse son regard vagabonder sur l’imprimante, pour l’instant muette, et bourrée d’une ramette de papier vierge qui attend son inspiration. Elle se frotte les bras, et râle. Son eczéma ne la laissera donc jamais tranquille. Elle attrape sa crème, se badigeonne énergiquement, jusqu’à avoir les avant-bras d’une couleur rouge-orangé et pousse un soupir qui s’apparente à un grognement. Visiblement, sans aucun enthousiasme, elle tape trois phrases sur son clavier, se gratte la tête et pousse sa chaise d’un geste colérique. Les lunettes de travers, les cheveux ébouriffés, Marie se dirige vers la cuisine d’un pas mal assuré. Elle jette ses lunettes sur le canapé, et repart, le pas, maintenant, sûr et déterminé.

Elle ouvre le réfrigérateur, attrape le paquet de jambon, et se confectionne un sandwich agrémenté de petits cornichons bien piquants, qui lui font plisser les yeux. Elle s’assoit quelques minutes pour dévorer l’objet de sa convoitise. Puis, elle vide le lave-vaisselle rapidement, se réchauffe une tasse de café, et range la vaisselle lentement tout en dégustant le breuvage chaud et bien noir.
- Putain, il faut que j’arrête de me laisser distraire par le quotidien. Le rangement et le ménage peuvent attendre ! J’ai un bouquin à terminer, bon sang, dit-elle en s’emparant des couteaux pour les ranger dans le tiroir.

L’un d’eux lui entame profondément la paume de sa main droite. Marie regarde, hébétée, le sang couler de la plaie. Un torchon vient couvrir le geyser grenat qui gicle et dégouline, le long de son bras jusque sur le plan de travail.
Elle se précipite dans la salle de bains, sort le désinfectant, le coton, la gaze, les bandes et passe sa main blessée sous l’eau froide. Une compresse vient stopper l’hémorragie et un gros bandage ceinturer sa paume. Marie sourit.

-Ça y est, je crois que je tiens mon épilogue… crie-t-elle tandis qu’en courant elle retourne dans le salon, attrape ses lunettes sur le canapé, et se précipite sur un amas de livres qui s’entassent sous les double-rideaux. Assise par terre, frénétiquement, elle trie, cherche et met de côté ceux qui ne l’intéressent pas, pour ne garder que deux ouvrages. « L’Amazonie sauvage » et « Le retour des galions ».

Tranquillement, Marie regagne son bureau. L’air serein, elle y fait une petite place pour déposer ses livres, les ouvrent aux pages déjà marquées de post-it aux couleurs flashyes et se plonge dans la lecture. Ses yeux font l’aller-retour entre les deux brochures. Son visage par moment s’éclaire, tandis que des notes viennent couvrir des feuilles entières. Fréquemment, elle ôte ses lunettes, se frotte les yeux, et grimace, lorsque par inadvertance elle appuie sur le bandage, qui s’est maintenant teinté de rouge.

Marie allume la petite lampe marine posée sur le coin du bureau, et avance son clavier récalcitrant. Et, avec la fougue du créateur inspiré, ses doigts volettent de lettre en lettre, dans une frénésie qui semble ne jamais cesser.
Au point final, Marie envoie valser ses lunettes, allume une cigarette et s’étire longuement, l’air triomphant. Son ouvrage est achevé. Elle se retourne, plisse les yeux, me cherche du regard, au milieu des dragons qui couvrent ses étagères. Elle sait que je suis là et que je la protège. Moi, l’immense dragon vert et bleu de son imaginaire, témoin quotidien de sa vie d’auteure.

- Tu vois, me dit-elle en éclatant de rire, je viens d’ouvrir un bel avenir à mon prochain roman. Tous mes personnages sont en place pour de nouvelles aventures.
10/05/2019