Poème:Le Vieillard

Dans la vieille cité, grouillante et lumineuse
Les mystères, tels des ombres règnent la nuit
Ville de tous les rêves bien que triste et pluvieuse
Peuplée de spectres effrayants dont la blancheur luit

Une nuit, cependant que dans une rue sale
Bordée de pavillons sombres, bien silencieux
Je rejoignais mon ami désolé et pâle
Ses pneus crevés, il eut peine à en croire ses yeux

Un sentiment étrange me glaçait l’échine
L’air était lourd et le ciel sans étoiles, noir
Mon ami, courroucé avait mauvaise mine
Et m’accablait de reproches sans s’émouvoir

Assoiffée, je lui apportais pourtant mon aide
Puis je m’assis sur le bord du trottoir, au frais
Une fois qu’il eut terminé, impassible et raide
Je montais en voiture sous un brouillard épais

Tout à coup, un vieillard apparut, en guenilles
Barbe de mendiant, entouré d’un halo blanc
Promenant un chien invisible près des grilles
Il chancelait et flottait comme un revenant

Je tremblais devant cette vision singulière
En ce jour de la Toussaint, fête des défunts
Mon bel ami averti clignait des paupières
Epiant cet être morne, inquiétant pas très loin

Il n’était pas voûté mais tirant une laisse
On eût dit qu’il était saoul, le pas maladroit
Mais sa démarche était d’une telle mollesse
Irréelle, incertaine, moi j’en restais coi

Dans un accès de rage devant l’inexplicable
Il se mit à héler le vieillard indifférent
Excédé, il menaça ce gueux imperturbable
La voiture démarra dans un vrombissement

Epouvantée, je courais comme une démente
Je m’enfermais à clés, me réfugiant au lit
L’esprit fiévreux, saisie de palpitations violentes
Abandonnant là mon pauvre ami aux esprits

Sous les draps froids, je sombrais en des eaux profondes
Et noires, troublée par le mystère et l’alcool
La raison me tendait une perche dans l’onde
Mais une mer déchaînée m’emportait loin du sol