Texte:Les Saisons

Je ne veux pas mourir avant de voir renaître le printemps à venir. Ressentir cette indéfinissable mutation de l’espace et du temps qui vous pénètre comme l’eau d’une source de jouvence et vous donne en offrande cette impression de renaître chaque fois.
Regarder fuir en larmes les milliers d’étoiles du dernier givre. Alors, dans le premier matin de ce nouveau décor, la symphonie triomphante des messagers du printemps s’élèvera dans l’éther adouci de la nouvelle saison.
La terre s’éveillera lentement dans son lit encore froid. Elle s’étirera sans pudeur, comme une jeune mariée alanguie dans sa couche nuptiale. Elle frissonnera de plaisir sous la caresse du premier soleil, faisant vibrer les racines fragiles des éclatantes jonquilles. Les perces-neige, fantassins volontaires de la première heure, disparaîtront sous l’assaut victorieux d’un florilège de couleur et de parfums subtils.
L’aube fera sa toilette et s’habillera de douceur angevine.
Ainsi vêtue de ses plus beaux atours la belle s’en ira conquérir le cœur de milliers d’amants.

Je ne veux pas mourir avant d’avoir caressé de mes yeux la merveilleuse lumière du premier crépuscule de l’été. Espiègle et capricieuse je la verrai conquérir la nuit, grignotant ça et là son grand manteau de velours noir, puis céder soumise aux ténèbres qui l’enlaceront enfin.
Alors l’astre de nuit, complice, éclairera doucement cet instant d’intimité pour laisser le champ libre à mon regard inassouvi.
L’implacable chaleur du jour se diluera doucement pour faire place à la légèreté d’une brise naissante.
Une musaraigne pointera son museau hors de l’andain fraichement coupé. Le vol rasant d’une pipistrelle fera ondoyer la chevelure d’un saule.
Une nuée de Phalènes dansera son ballet aérien au rythme d’une chorégraphie capricieuse.
Au loin, les rires d’une jeunesse, ivre de liberté, s’élèveront dans la douceur de la nuit achevée.
Le chant de la rivière, délivrée des bruits du jour, volera jusqu’à moi pour achever de peindre la toile chaque jour renouvelée de la saison des amours insouciants.

Je ne veux pas mourir avant de sentir crisser sous mon pas de promeneur la première feuille délivrée d’un automne annoncé.
Entre la vie encore bouillonnante et les prémices du grand sommeil, il s’intercale avec équilibre, sans forcer la place. Il n’est que le prélude à d’autres joies, d’autres plaisirs.
Quel bel hommage à l’été finissant que cet interminable feu d’artifice de couleurs qui ne s’éteint qu’aux premiers frimas.
Marcher le long des sentes et respirer à pleins poumons cet appel de la terre fatiguée d’avoir trop engendrée et qui demande pitance aux arbres qu’elle a nourri.
Saisir la biche au déboulé que mon pas a troublé et qui fuit bondissante dans les halliers. Entendre le murmure cristallin d’une source qui folâtre au creux d’un val paresseux.
C’est la saison des amours vieillissants qui se patinent à la lueur des chandelles.

Je ne veux pas mourir avant d’avoir vu voltiger les premiers flocons d’un ciel aussi bas que l’on pourrait s’y perdre. Regarder le miroir éclatant de l’étang prisonnier s’étendre dans un écrin de cristal et dont l’onde indomptable, réveillée par le nordet vient gifler en vaguelettes les ajoncs de ses berges.
Contempler des heures entières à l’abri d’une hutte de roseau la magnifique métamorphose de l’espace, quand tout contour s’estompe sous le ballet d’hermine. Voir peu à peu tout relief disparaître comme volontairement absorbé par la blanche parure de noce, ne laissant comme seul repère que la trace de mes pas dans l’immensité de la plaine.
Sentir encore monter en moi la troublante émotion qui bouscule mon cœur lorsque la chevelure grisonnante de ma tendre compagne frôle mon épaule comme la promesse attendue de l’offrande des heures troubles qu’ils nous restent encore à savourer sans jamais se lasser de l’autre.

Je veux mourir en plein milieu de cette cinquième saison que Dieu n’inventât pas, laissant à l’homme le triste privilège d’en être le créateur ; celle qui accompagne le chant des tambours, les quatre cavaliers et leur sombre message.
Celle des regrets, celle des remords, celle là si laide que je n’aurai pour la fuir comme seule échappatoire que de mourir enfin.
Elle n’aura pas sa place au sein de vous, mes quatre amantes infidèles que j’ai tant aimées et vous continuerez de séduire d’autres cœurs, m’oubliant le temps de l’éclosion de la première fleur.