Texte:L’avertissement

Cela faisait désormais deux semaines qu’il ne savait plus penser à autre chose. Il se rappelait en détail de l’événement inhabituel dont il avait été témoin, ou même acteur tant qu’on y est.
Aujourd’hui, il se disait qu’ils auraient dû la prendre au sérieux, et il commençait à regretter amèrement de s’être moqué de « la vieille folle », comme ils l’appelaient lui et ses amis. Elle les observait depuis longtemps déjà, puis elle était venue les voir, pour leur adresser ces paroles :
« Et vous, n’avez-vous jamais peur ? ». À deux reprises elle les avait abordés. Et à deux reprises, ils répondaient : « Ah non, ça jamais ! » Puis ils riaient. Elle se mit alors à chanter : « Qui jamais ne craint verra bien, Ses certitudes ébranlées. Maudit soit celui demain Qui ne saura l’écouter »
Sur le coup, ils pensaient avoir affaire à une pauvre femme sénile ou toxicomane, et avaient ri de cette question. Si seulement c’était vrai… Et maintenant il regrettait, parce que finalement, elle n’était pas folle, la vieille.
Et il y pensait encore, et il avait peur, une peur incommensurable, inexpliquée, comme si ce sentiment n’était pas à lui, mais à un autre. Il avait retiré la sonnette de sa porte, pourquoi, il ne le savait pas, mais rien que l’idée d’entendre un tel son le faisait frémir.
Il était d’autant plus effrayé par le fait qu’il n’avait pas reçu de nouvelles, d’aucun de ses amis, après cet événement. Même l’autre casse-pieds, là, qui l’appelait tous les jours. Mais lui non plus ne pensait pas à les appeler. Il contemplait souvent le vide à son balcon du sixième étage. Pas pour sauter, non, il guettait les moindres entrées et sorties des passants. Et il ne savait pas ce qui l’obligeait à agir ainsi.
Cela faisait désormais deux semaines, il était perdu dans ses pensées. Et deux coups se firent entendre.