Prose:Episode 3 : Victor.

« Jeune homme ! »
Cette voix rauque et chaude lui semblait résonner au loin et le tirer du brouillard épais dans lequel il se trouvait jusqu’alors enfermé. Elle lui paraissait étrangement familière et rassurante, le genre de voix qui crée une atmosphère de confiance aveugle.
« Papa ? » Lança-t-il faiblement au milieu d’une quinte de toux rocailleuse.
« Oh non mon garçon, je l’saurais ! » Lui répondit la voix avec un rictus. Le propriétaire de celle-ci l’avait relevé et le maintenait assis avec une facilité déconcertante. « J’m’appelle Victor, petit. Allez, réveille toi ! » Victor le secoua d’une force étonnamment douce tandis que son corps jusqu’alors inerte commençait à être envahi de dizaines, puis de centaines et enfin de milliers de fourmis et que ses yeux s’ouvraient péniblement. Il entrevit alors celui qui l’avait éveillé.
« Peux-tu m’dire ton nom, et la date d’aujourd’hui ? »
C’était un homme à l’allure solide, son visage imposait un respect certain de par ses traits autoritaires et marqués par le temps, tandis que ses yeux profonds et son sémillant sourire inspiraient une tendresse insoupçonnée.
« Ne vous inquiétez pas, monsieur. .
-Appelle-moi Vic’ ! Le coupa-t-il en l’aidant à se remettre sur ces deux jambes.
-Oui, Vic’, nous sommes le 21 juin, si ça peut vous rassurer. » En disant ces mots, il balaya son champs de vision. Il n’avait couru guère plus de trois cent mètres avant de s’évanouir : malgré la brume opaque formée de fines gouttelettes de pluie, il distingua le banc au nord de chez lui, sur lequel Dylan et lui avaient passé jours et nuits à refaire le monde et ses alentours.
« Dites-moi. . » Il hésita un instant, bloqué par la peur de la réponse qu’il connaissait pertinemment mais que son esprit se refusait à accepter. « L’Envol a été déclaré, n’est-ce pas ?
-Le dernier bus est partit y’a plus d’une heure. Je m’demande bien ce que tu fais encore ici, t’as pas entendu tout le vacarme ce matin ? » Ils avaient commencé à marcher vers le sud. Du moins Victor avançait, suivi de près par le bleu agaçant d’une bien frêle chemise. « C’est une drôle de question venant d’un homme qui semble errer dans les rues. . » Victor s’était arrêté. Son regard le parcourut de bas en haut, comme pour le jauger, avant de laisser échapper un sourire. « Je n’erre pas, dit-il en reprenant d’une marche plus soutenue, je cherche.
-Vous ne quittez pas la ville ?
-Quelle question idiote ! Bien sûr que j’vais m’envoler, grogna-t-il calmement, mais j’dois régler deux trois trucs avant. »
Victor était grand. Si grand qu’emboiter le pas derrière lui ne s’avérait pas chose facile.
« Vous rejoignez un refuge ? S’enquit-il.
-Non. Mais tu m’as l’air bien perdu, j’peux t’emmener au refuge ouest si tu veux, à deux conditions. . »
Le soulagement fit se décontracter bon nombre de ses muscles. Il était maintenant libéré du nœud qui avait serré son estomac dès lors qu’il comprit qu’il risquait de mourir.
« Lesquelles ?
-Premièrement, va te changer. Vu ton état, tu ne dois pas habiter loin et ta chemise m’irrite l’œil. » Cette remarque l’amusa, lui qui adorait cette chemise.
« Ensuite, cesse d’être si curieux, c’est un vilain défaut. »

T’as pas entendu tout le vacarme ce matin ?

Dans sa chemise bleue maintenant imbibée d’eau, il prit la direction de son petit appartement, ce qui laissa champs libre à son esprit pour se poser les bonnes questions. T’as pas entendu tout ce vacarme ? Son sommeil n’avait jamais été lourd au point d’éluder totalement alarmes, voisins et cris des personnes les plus sensibles ; de plus, la veille ne fut pas une journée singulière. Le matin il avait croisé Dylan et Joris et alla faire ses courses en leur compagnie. Le midi il était si pressé qu’il eut à peine le temps de gober un sandwich avant de rejoindre l’amphithéâtre 11 pour le cours qu’il jugeait le plus inutile du semestre mais auquel il ne pouvait se dérober. Le soir, enfin rentré, il avait ingéré toute une boite des biscuits dont il raffole depuis le jour où, à ses cinq ans, sa mère lui avait si bien raconté l’histoire folle d’un aventurier peu orthodoxe qui séjournait dans la savane. Elle avait mis en scène chacun d’entre eux : giraffes, éléphants, lions ; tous avaient un rôle important dans la quête de ce jeune héro et s’en souvenir le faisait toujours sourire. Finalement, après avoir mangé une boite de raviolis en conserve, il n’avait pas longtemps lutté face à la tentation des bras de Morphée.
T’as pas entendu tout le vacarme ce matin ?
Il était maintenant devant sa porte et n’avait qu’un quart d’heure pour rejoindre Victor à l’endroit convenu.