Texte:La Fille Et Le Chêne

Sous la tiédeur de l’aurore, bousculé par les souffles du ciel orangé, je
laissais ma conscience distraite par l’ode des oisillons, la symphonie des tétras
ou encore les micro-vagues que formaient les poules d’eau au simple contact de
la nappe du lagon. Je voyais, au travers de ces âmes virtuoses, un si bel
enchantement que je me devais bien de remercier Nature pour m’avoir fait don
d’une longue et heureuse vie.

Ce matin, une jeune et douce nymphette vint me rendre visite. Ce ne fut pas la
première fois qu’un petit animal eut la pitié ou bien la curiosité de m’approcher.
À sa vue, mon corps se secoua brusquement, laissant choir à ses pieds quelques
feuilles éparses. Elle demeura stupéfaite. Son corps devint soudainement raide.
Intriguée, elle ne cessa de fixer de ses yeux éclatants, l’un de mes plus grands
rameaux au bout duquel reposait un gland à la carrure singulière. Je ne sus
comment réagir, et je vis le teint de son visage angélique, passer du blanc de
neige, au carmin de braise. Comme si ma vie ou mon destin en dépendaient, je
décidai, par galanterie sans doute, de lui offrir ce dont elle avait soif d’observer
de plus près. Dans un élan où se mêlaient la crainte et le plaisir, je lui tendis
mon rameau avant que son bout n’atteigne celui de son délicieux rictus. Prenant
tout son courage ou sa profonde volonté, l’enfant déposa, comme l’on
déposerait une plume, une main tendre et délicate sur la solide écorce du
rameau…

Son visage, toujours écarlate, semblait se confondre aux lueurs divines que
nous offrait le soleil. Les reflets de la beauté se dessinaient dans l’iris
flamboyant de ses yeux et l’on voyait l’essence de l’automne parcourir le long
de ces cheveux bruns. Candide, elle essaya de cueillir le fruit de ses rêves, sans
y parvenir. Ses pensées pleines de désespoir, elle leva son menton puis se mit à
me regarder dans les yeux. À cet instant précis où nos regards se croisèrent, je
sentis jaillir du fond de mes entrailles, une sève si brûlante que je crus laisser
couler dans les veines de mon rameau, un flot de lave. C’était incontrôlable !
Dans un cœur où germe le dégoût, ma fillette se sauve le corps recouvert de
mon sang, me donnant à nouveau la solitude mais aussi l’inoubliable souvenir
d’une rencontre chaleureuse…