Texte:X 127

Je m’appelle X127, et mes journées commencent toujours de la même manière à savoir, trouver de la nourriture. Mon existence de nomade n’est qu’une quête incessante pour rester en vie. Explorer de nouveaux territoires, dénicher un abri sûr chaque jour, éviter les ennemis nombreux et variés, et ce qui n’est pas le plus désagréable rencontrer de nouvelles partenaires pour procréer, font partie de mon lot quotidien.

J’aime cette existence aventureuse, mais aujourd’hui je suis fatigué. Hier, il m’a fallu un temps infini pour découvrir un lieu où me cacher pour la nuit. Une longue marche dans un désert au sol mou et parsemé de longues tiges flottant au moindre souffle d’air a eu raison de mes forces. Coincé dans un repli de terrain, la nuit n’a pas été réparatrice, tant il y avait de bruit, de gémissements et de ronflements autour de moi.

Ce matin, je profite d’un calme relatif pour m’avancer vers une forêt qui me tend les bras, et semble bien paisible. Plus de grondements, juste une brise légère et régulière m’accompagne dans le peu de distance qu’il me reste à parcourir. Tout est calme. Visiblement les lieux sont déserts et m’offriront un asile confortable. La forêt est très dense.

Je peux enfin me nourrir et prends le temps de baguenauder entre les arbres noueux, monter le long de leurs troncs, redescendre, batifoler tranquille sans que personne ne me voit. Je suis un gamin turbulent et livré à lui-même. Qu’importe c’est comme cela que vit mon peuple. Seul regret je n’aurai pas de partenaire aujourd’hui, et la solitude me pèse vite.

Tout d’un coup, je me trouve propulsé vers l’avant, et déboule une bonne partie de ma forêt avant de m’accrocher à une herbe brune et rêche. Ma forêt se déplace… et le sol résonne comme une calebasse. Une énorme chose vient gratter troncs et herbes qui se trouvent à deux doigts de moi. Je me pousse.
Je hurle « Eh, cocotte je suis là. Tu vas m’écraser ! »
Mais visiblement cette chose reste insensible à mes cris. Il faut dire qu’avec le vacarme environnant elle ne risque pas de m’entendre. Au chant joyeux d’un ruisseau, qui dure, dure, dure, succède un tonitruant son de chute d’eau, puis des bruits métalliques, des sonneries… une véritable cacophonie étourdissante. J’ai connu des endroits plus calmes.

Soudain, plus de sons et plus d’images ! Une chape duveteuse vient aplatir ma forêt et je me trouve emprisonner comme dans du coton, tel un insecte dans une toile d’araignée. Impossible de me libérer. Je vois défiler ma vie, mes frères, mes sœurs, mes potes qui m’ont baptisé X127 en riant comme des bossus, parce que j’ai une démarche de robot, suite à une chute d’un arbre qui m’a laissé une raideur dans la colonne vertébrale.

J’ai peur… des tremblements sourds s’ajoutent aux miens. A force de me tortiller je réussis enfin à m’extraire de ma prison au moment où la lumière revient. Plus de bruit, plus de secousses… . juste des brides de conversation de quelques congénères, tout à côté. Je me dirige vers eux, bienheureux de retrouver de la compagnie.
Inspectant les lieux je m’aperçois qu’une immense faille nous sépare.
« Salut les gars. Je peux me joindre à vous ? »
-Viens, passe par ce tronc, là… à droite pour franchir le précipice. Plus on est de fous plus on rit. Par contre on a rien à manger. «
-Pas grave ! ! ! Je viens de déjeuner. »

Une foule dense s’agglutine pour me regarder faire mon petit numéro d’équilibriste… Le tronc trop souple, ne me rend pas la tâche facile. Quand j’arrive enfin à rejoindre l’autre rive une ovation m’accueille. Fanfaron et fier de moi je me présente. Du coin de l’œil je remarque une petite toute timide, qui fait semblant de ne pas être intéressée par mon exploit. Qu’à cela ne tienne je vais m’en occuper. Je m’approche, lui glisse à l’oreille des mots tendres, lui fait mes yeux langoureux et hop j’emballe la mignonne. Quels moments délicieux… mais je ne vous les dévoilerai pas, un peu d’intimité que diantre !

La journée passe vite et en très bonne compagnie. Je commence à avoir sérieusement faim. L’Amour ça creuse ! Je m’aperçois enfin que ce n’est pas une forêt qui nous abrite mais une masse de fibres molles et soyeuses. Mes nouveaux amis me rassurent :
« T’inquiète pas le repas arrive bientôt. Nous n’aurons qu’à nous servir… . »
Effectivement, après avoir été quelque peu chahuté, et comprimé, je me retrouve comme par magie dans une forêt nouvelle. Les troncs sont lisses et d’une couleur tirant sur le doré. Soit… elle est très agitée, mais visiblement prometteuse. Il n’y manque rien… des copains qui connaissent bien les lieux, plein de petites plus affriolantes les unes que les autres, et de la nourriture à profusion. Orgie et débauche occupent un bon moment chacun d’entre nous. LE PARADIS.

Paradis qui bientôt se transforme en enfer. Une pluie diluvienne s’abat sans prévenir, accompagnée d’une forte odeur de parfum, puis un vent chaud et violent vient couronner le tout. Nombre de mes congénères ont disparus durant la tempête. Une énorme machine vibrante saccage notre forêt, en rasant tout ce qui se trouve à sa portée. Les magnifiques troncs blonds tombent les uns après les autres. Quel massacre.

Une petite tout apeurée et en larmes se colle à moi. C’est le moment ou jamais de jouer le super héros, même si la peur me noue les boyaux.
« Viens ma belle suis-moi, nous allons tenter notre chance. Tu vois cette machine, si nous arrivons à grimper dessus elle ne pourra pas nous broyer, et ce n’est déjà pas si mal. Une fois en haut, cela me laissera le temps de réfléchir. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Me voilà grimpant poussivement sur le monstre trop lisse, tractant ma compagne du mieux que je peux. Il semble se prolonger à l’infini, cet horrible destructeur. A notre grande surprise, après un long passage à découvert nous découvrons un champ couvert d’herbes fines et soyeuses. Lentement nous avançons vers ce qui semble être des bosquets. L’espoir renaît enfin. Tout cet espace immense et vierge rien que pour nous deux. Nous allons pouvoir copuler comme des fous et ma compagne aura l’embarras du choix pour fixer ses lentes. Une nouvelle colonie de poux va voir le jour.
10/12/2018