Poème:Par Les Innoscents

Il tenta une fois de plus de se défaire de ses liens, même s’il savait pertinemment qu’il n’avait aucune chance de s’échapper.
Il se tenait debout, adossé contre un massif poteau de métal, les mains jointes derrière lui. Les cordes le retenant lui écorchaient la peau. Ses pieds aussi étaient attachés, et il se sentait en constante position de déséquilibre.
Le ciel était clair ; au loin, quelques nuages noirs présageaient une future averse, mais il savait qu’il ne vivrait pas pour voir les gouttes tomber du ciel.
Il n’éprouvait aucune colère - il avait passé ce stade. Il reconnaissait qu’il méritait le châtiment qu’on lui avait infligé. Cependant, il ne regrettait pas son geste ; il avait agit en toute conscience. Il l’avait même longuement prémédité.
Il se souvenait encore du visage de sa victime juste avant qu’il n’assène le coup fatal… Elle le regardait sans comprendre ; elle devait se demander ce qu’elle avait fait pour mériter cet horrible sort…
Rien. En vérité, elle n’avait absolument rien fait. Et c’est exactement cela qui l’avait poussé au meurtre.
Comment expliquer son motif de manière rationnelle ? Était-ce seulement possible ?
Il ne la connaissait pas. Il lui avait parlé à quelques reprises, mais sans plus. Elle avait été gentille et douce avec lui (comme avec tout les autres) … Cette même gentillesse qui l’avait porté au bord de la folie…
Il n’avait pu supporter toute cette attention qu’elle portait à son entourage… Ce calme, cette paix intérieur qu’il enviait…
Il n’avait jamais atteint cette pureté. En lui, les émotions primaires l’emportait sur sa raison, sa logique. Oh, il n’était pas le seul ; mais ceux de son espèce étaient traités en brutes, en sauvages.
Et c’est ce qu’il était. Un dégénéré. Un homme d’un autre temps - un temps passé, révolu. Il n’avait pas sa place dans cette société. Ni dans aucune autre. Il l’avait toujours su.
Une légère brise caressait son visage. En d’autres circonstances, il aurait qualifié la journée d’agréable. Le genre de journée où ses instincts se trouvaient diminués, où il contrôlait presque son être…
Devant lui, ils se rassemblaient. Il n’y en avait pas assez (pas encore) . Ce n’était qu’une question de temps… Comme toute chose, d’ailleurs.
Il n’avait pas tenté de fuir les lieux de son crime. On l’aurait retrouvé de toute façon. Sans un mot, les policiers lui avait passé les menottes. Ses droits ? Il n’en avait plu.
Avant même de s’être présenté devant le juge, son destin était scellé. Il ignorait pourquoi ils s’entêtaient à continuer cette vieille tradition. Elle était complètement dépassée, autant que lui. Probablement pour le spectacle.
Il y en avait de plus en plus… Ils se massaient devant lui. Il n’aimait pas sentir leur regard braqués sur lui.
Entouré de quatre policiers, on l’avait agenouillé devant le juge, imposant sous sa toge flottante. « Au nom de la liberté, avait déclaré ce dernier devant une assemblé fascinée, de tout ce qui est bon et juste… »
Il n’avait pu réprimer un fou rire. Un coup de matraque dans l’abdomen l’avait aidé à recouvrer son calme.
« La cour ci-présente condamne l’accusé à la peine de mort, avait reprit le juge, imperturbable. »
Majestueux, il s’était penché vers lui : « Vous avez tué une innocente. Alors… »
Attaché au poteau, il ne voulait plus voir. Il ferma les yeux, s’échappant de la vision cauchemardesque : devant lui, les enfants, souriants, pierres à la main…