Texte:La Simplicité Du Bonheur

Il est où le bonheur, il est où ? … Cette chanson me trotte dans la tête depuis un bon bout de temps. Je me surprends à la chanter régulièrement, en me disant que le bonheur se construit lentement et que le moindre instant peut se transformer en pépite, si on prend le temps de l’apprécier et le savourer.

J’arrête de réfléchir ! … je ferme les yeux… ouvre grandes mes oreilles… respire à plein poumon. La garrigue, encore gorgée de soleil, s’offre à mes sens. Sous mes pas crépitent les cystes, les bruyères et les lavandins grillés par l’été. Des odeurs de thym et de romarin montent à mes narines à chaque effleurement de buissons. Mes yeux scrutent les moindres recoins pour débusquer la tête orangée ou brune d’un champignon qui, ce soir terminera sa vie en omelette ou pendue à un fil au soleil, sur la terrasse à balustres, exhalant un doux parfum d’automne et de sous-bois.

Mes trois petites têtes brunes qui font plus de bruit qu’une colonie de vacances sont devant moi, et s’égaillent dans la colline en chantant à tue-tête. Les champignons n’ont pas peur des enfants. Ils devraient pourtant se méfier de mes fins limiers au regard acéré. Des hurlements de joie accueillent chaque découverte. Il est là le bonheur dans ses vies naissantes et insouciantes…
Et quand nous rentrons à la tombée du soir, fatigués, couverts d’épines et de feuilles mortes, la baignoire accueille mes petits pour les réchauffer. L’eau éclabousse, déborde, coule encore et encore du robinet pour faire plus de mousse. Leurs éclats de rire résonnent jusqu’au fond de mon âme. Je les capture pour les garder au chaud dans mon jardin secret, telles des perles que j’ajoute au collier de ma vie.
Tandis que, dans la poêle crépite l’huile d’olive et les safranés parfumés, sur la vieille cuisinière à bois, ma joyeuse troupe met la table. Je les regarde s’affairer dans la joie et la bonne humeur. Ils ne sont plus fatigués ! Ils se racontent des bêtises et tentent de prouver, chacun à leur tour que c’est lui le meilleur découvreur de champignons. Qu’ils sont beaux mes petits ! La fierté transparaît dans leurs regards, quand ils dévorent le fruit de leur récolte.

La maison embaume encore l’omelette quand mes bambins, enfin épuisés et endormis, me laissent le loisir de rejoindre mon atelier. L’odeur de la mer, discrète et légère que la brise nocturne charrie, m’accompagne et m’apaise. A la lumière tamisée d’une lampe boule, je prends ma plume. En cet instant, seul compte, le présent et la volupté d’ouvrir un champ infini de possibilités. Ce rendez-vous intime avec ma feuille vierge ressemble à s’y méprendre à un moment d’éternité. Tout m’est permis, tout est irréel et pourtant fondé sur un concret permanent. Chaque visage, chaque lieu, chaque situation, chaque nom, naît de ce bonheur de laisser vagabonder l’imaginaire, de créer et de faire vivre des êtres à mon gré. Quelle puissance que d’engendrer un univers qui me ressemble ou pas, suivant l’humeur. Quelle jouissance d’avoir droit de vie ou de mort sur des personnages inventés de toute pièce. Quelle impatience certains soirs de les retrouver et de les animer, bien protégée dans cet atelier que j’ai aménagé à mon image, intime, simple et coloré. Mes toiles, sagement empilées contre les murs badigeonnés à la chaux, ne daignent dévoiler que leurs châssis. Mes pinceaux qui trempent dans la térébenthine entêtante, ce soir ne peuvent rivaliser avec ma plume. Demain… peut-être les sortirais-je de leur léthargie. J’éteins ma lampe boule. Il est tard.

La soirée tellement douce, m’invite à me diriger vers la terrasse de ma petite maison. . Elle ouvre ses fenêtres aux volets verts d’eau, sur un vallon arboré qui cascade en restanques vers la mer. Je m’y sens tellement bien dans cette vieille bâtisse perdue dans la garrigue. Le ciel n’accueille aucune nébulosité quand la lune se lève, sur un horizon miroitant qui efface la voûte étoilée. Heure magique où même la nature semble se détendre et profiter de l’instant présent.

Sans un bruit, tu viens te blottir derrière moi, et me déposer de tendres baisers dans le cou, qui me font frissonner. Ta main caresse mes cheveux. Peut-être est-ce la main du bonheur qui est venue se glisser dans la mienne, rassurante et aimante, il y a de cela quelques années ? Tu m’accompagnes… Tellement sûr de toi, tu me guides lorsque mes craintes dépassent la raison. J’apprends à lâcher prise, faire confiance, et donner le meilleur de moi-même, pour voir s’éclairer ton visage. Je te tourne le dos. Je ne le vois pas ce sourire, mais le devine, ainsi que les fines rides qui soulignent tes yeux gris quand tu souris.

« Viens te coucher ma chérie. Tu es fatiguée. »

Je me laisse entraîner vers notre chambre, dans la maison silencieuse et endormie. Blottis l’un contre l’autre, la terre peut bien s’arrêter de tourner. Ton souffle régulier dans mon cou lorsque que tu t’endors, tout chaud et tout doux, me conduit insensiblement vers le sommeil.
La plénitude est au rendez-vous chaque nuit dans tes bras.
15/03/2019