Prose:Une Épine Dans Un Miroir

Arrivée à la sortie, elle prit conscience que toutes les portes du Cégep étaient déjà verrouillées. Elle erra parmi couloirs et classes pour se perdre finalement dans la solitude. Il n’y avait pas une âme autre que la sienne, que des restes d’humanité. Des déchets trainaient, les chaises étaient déplacées et il y avait des feuilles éparpillées. Elle ouvrit une porte doucement. La pièce était comme à l’habitude, seulement plus muette. Elle escalada une à une les marches de la bibliothèque. Près d’une des fenêtres, elle observa la rue déserte. Le ciel était couvert, les nuages assombrissaient le paysage et l’ambiance. Une voix qu’elle n’avait pas entendu depuis longtemps lui parla, lui susurra des mots et des idées. « Voyons Lydi, tu vois bien que tu es seule. Les autres t’ont enfermée. Ils veulent te voir disparaître. » Elle se retourna subitement, mais rien. Elle se ressaisit, les livres la rassuraient. Son corps la tira jusque dans une rangée éloignée. Elle prit un livre parmi l’étagère pleine qui la dominait. Reliure rouge, lettrine noire, il l’intriguait. Elle glissa sa main entre les pages et profita de l’odeur âcre qui lui picota le nez et la mit à l’aise. Elle lut la première phrase qui sauta devant ses yeux. Elle passa le seuil du miroir qui, derrière elle, fut irrémédiablement scellé. Elle s’intégra à l’histoire qui se déroulait dans sa tête. « À quoi ça te sert de lire ce livre ? Tu n’as personne à qui en parler ! Et puis cesse de fuir la réalité, c’est tellement puéril. Tu sais bien qu’il est trop tard pour devenir quelqu’un. Tu me déçois ma jolie Lydi. Un peu, beaucoup… en fait, trop. » Elle leva la tête de son bouquin dont elle avait déjà oublié la dernière ligne. Comme le ciel, son cœur s’assombrissait. Cette voix l’agaçait, ne la lâchait pas depuis un bon moment. Elle attendit un peu dans l’espoir de reprendre son calme. Elle reprit sa lecture, assise sus le sol entre deux étagères en métal dont seuls les numéros les distinguaient, comme les prisonniers, tous pareils. Elle dévorait l’histoire et en oublia complètement la réalité. Elle entendit, soudain, des échos de pas tout près et la voix revint. « Lydi, occupe-toi un peu de moi. Tu fais une mauvaise hôte en m’oubliant ainsi. Je suis la seule qui ne t’as pas encore abandonné. On m’a toujours répété d’entretenir mes amitiés. Tu devrais retenir cette leçon. Tu ne pourras pas vraiment l’appliquer, tu n’as plus personne. Mais ce n’est rien. Pas vrai ma grande ? » Elle se leva d’un bond et lança le livre à bout de bras. Elle se prit la tête entre les mains, n’en pouvait plus. Elle cria de toutes ses forces, laissa sa colère se déverser. Depuis le temps qu’elle gardait ça à l’intérieur. « ARRÊTE ! Laisse-moi vivre ma vie. Je ne veux plus t’entendre. Tu me gâches la vie, comprends-tu ? C’est ce que tu veux, je le sais. Tu n’as rien de mieux à faire que me tourmenter ? » Elle était à bout de souffle, mais elle débordait d’une nouvelle énergie, celle du désespoir. D’un pas décidé, elle avança et détruisit tout sur son passage. Elle se rua sur une étagère, en saisit des livres et les lança contre les fenêtres. Elle renversa les tables, fracassa les écrans d’ordinateurs et défonça les murs avec une chaise. « Voyons ma belle, pourquoi es-tu si en colère contre moi ? Je ne veux que ton bien-être, tu le sais. Tu te mens à toi-même. Tu pourras briser tout ce que tu voudra, mais moi je resterai à tes côtés jusqu’à la fin. Toi et moi, on a créé un lien étroit depuis le temps. Je connais chaque parcelle de ton âme et tu connais la mienne. Je ne te lâcherai jaimais… mon amie ! » Elle ne pouvait en prendre plus. Elle rêvait d’étrangler cette folle qui la suivait partout, celle qui avait détruit toute sa vie. Depuis son retour, elle ne voulait que se venger, la démanteler morceau par morceau comme elle le lui avait fait. Elle étira son bras et prit une paire de ciseaux tombée d’un bureau renversé. Elle compa enfin les cordes vocales de son ennemie. Du sang coula sur sa tempe, s’agglutinant devant ses yeux, l’aveuglant. Elle s’effondra, l’autre avait gagné mais signa sa perte du même coup. La voix était encore là et grondait. « Lydi, tu es tellement égoïste et sans cœur. Tu m’abandonnes, tu me laisse seule. Je n’ai plus personne à qui parler maintenant. Est-ce la fin de notre amitié ? Tu me quittes comme ça ? Après tout ce que j’ai fait pour toi. Ingrate ! » Elle soupira, silence total. Les portes du Cégep s’ouvrirent… enfin.