Texte:Cher Dieu

Cher dieu,
J’en aurais des choses à te dire si tu te trouvais en face de moi. Je sais bien que chaque histoire laisse ses marques, seulement, rien ne recouvre les cicatrices.
Petite, lorsque je tombais, on soufflait sur mes blessures, mais en grandissant, je me rends compte qu’aucun vent ne peut effacer les traces sur mes poignets.
Quand j’étais enfant et que je pleurais, on me caressait les joues pour tuer ces vilaines larmes qui les rougissaient, mais maintenant, je sais que jamais la douceur n’asséchera ces torrents.
J’ai essayé de croire en toi tu sais, j’ai vraiment tenté de le faire, mais à chaque fois que j’avais l’espoir que quelqu’un là-haut entende mes SOS, je finissais à terre seule avec ma détresse.
Et puis il y a eu ces différents passages de ma vie, ceux qui m’ont meurtrie pour je pense une bonne décennie.
Il y a eu le décès des deux personnes qui m’ont presque élevée, il y a eu aussi celui d’une amie, mais tout ça tu le sais, tu les as attrapés comme ça sans vraiment prévenir, et moi, peu importe mon âge, j’ai décidé de te haïr.
Il y a eu le harcèlement, dont j’ai parlé si souvent, je crois que c’est lui qui m’a le plus anéanti, même si je m’en suis sortie…
Il y a eu cette période où je faisais n’importe quoi, je cherchais où je pouvais, dans les bras du premier qui arrivait, le peu de compassion qu’il me fallait.
Il y a eu la mutilation, cette passion de la lame qui a brisé mes poignets, j’ai saigné tellement de fois, je ne peux pas les compter mais compter c’est pas mon truc, que ce soit en math ou sur les gens.
Il y a eu cet instant où tu as commencé petit à petit à casser ma famille, à petit coup de rien mais qui font un grand mal.
Mais je parle bien trop pour peu de choses, tous ces maux tu les connais, c’est toi-même qui les a causés.
Mon Dieu, si tu existais, j’aurais tellement de colère à déverser. Je sais qu’il ne faut pas laisser sa peine définir ce que l’on est, mais je ne suis plus rien d’autre.
Je voudrais qu’un courant d’air vienne balayer mes entailles, qu’un contact fasse disparaître ces perles qui roulent sur mon visage rond, qu’une voix m’apaise et me dise enfin que tout est fini, que la vie ne craint plus, que tout ira bien mieux.
J’aurais voulu croire en toi tu sais, croire en quelqu’un qui me regarde et me surveille de là-haut. J’aurais voulu croire que tu existes, croire que l’espoir existe.
Mais il ne reste plus rien de ces illusions, simplement la déception. Alors, comme un enfant qui apprend que le père noël n’existe pas, je pleure, je crise, et je grandis.
J’ai l’impression d’avoir grandi trop vite, d’avoir loupé des épisodes de ma propre vie. D’ailleurs, si on pouvait avancer dans le film… Pour voir ce qu’il me reste comme cauchemar à faire.
Parce que je ne dors plus, je somnole, et tous les soirs j’éclate en sanglot, je m’effondre dans les bras de celui qui partage ma vie et je me demande à quoi bon ?
À quoi bon me battre puisque c’est toi qui vas gagner à la fin ? À quoi bon me rattraper aux branches étant donné que tu vas renverser l’arbre ?
Mais le lendemain, je me souviens qu’il y a encore des personnes qui pensent un peu à moi, des personnes que j’aime et qui m’aiment, et ça va mieux, le temps d’une journée.
Et le soir, c’est reparti pour un tour de manège, sauf que ça ne m’amuse plus, je voudrais en descendre, m’enfuir le plus vite possible, que tu me laisses tranquille.
Je sais que tu t’en fiches, je sais que j’écris pour absolument rien, enfin si, peut-être, peut-être que j’écris pour moi, parce que j’en ai besoin, parce que ça me fait du bien, à moi.
C’est un peu égoïste, mais entre nous, qui l’est le plus ? Celle qui fait semblant de vivre et s’offre un unique moment de libération ou celui qui ignore totalement ceux qu’il est censé protéger ?
Mon Dieu, j’abandonne.
Je ne veux plus essayer de te comprendre et de croire en toi. Tu n’es qu’un astre parmi les autres, une folie parmi les pires. Je refuse d’être folle et je refuse de regarder le ciel en me disant que tu y es.
Dans ce ciel, je préfère y voir ceux qui me manquent, ceux qui méritaient de vivre encore, de connaître un peu plus de choses de la vie. Et j’aimerais m’y voir, moi aussi, parfois.
Après tout, la vue doit être bien belle là-haut pour que personne n’en revienne et que tu y restes, toi aussi.
Prévert a dit un jour « le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer », moi c’est la vie qui me tue en oubliant le temps.